Comment une femme laïque a-t-elle pu bouleverser le monde catholique du xixe siècle et son cléricalisme ? En quoi son intuition de l'apostolat des laïcs a-t-elle façonné l'Église d'aujourd'hui ?
Remarquée et louée par le Curé d'Ars, animée par un zèle missionnaire sans pareil, Pauline Jaricot (1799-1862) a fondé à Lyon l'OEuvre de la Propagation de la foi qui vient en aide matériellement et spirituellement aux missions de par le monde, et le Rosaire vivant, ces groupes de laïcs qui prient le chapelet pour l'évangélisation des peuples, la conversion des pécheurs et la préservation de la foi dans l'Église.
Préoccupée par les conditions de vie des prolétaires, elle a créé l'OEuvre des ouvriers, pour laquelle elle donna tout et perdit tout, avant de finir sa vie dans la misère et l'indifférence.
C'est avec force et talent que Catherine Masson nous offre ici une biographie magnifique du génie précurseur que fut Pauline, afin de rendre justice à cette femme et de transmettre la flamme de son indéracinable espérance.
Princesse, carmélite, égérie de la IIIe République, Jeanne Bibesco (1864-1944) eut un destin aussi inattendu qu'exceptionnel. Dès l'âge de vingt et un ans elle choisit la vie religieuse. Elle entre au carmel d'Alger, à Bab-el-Oued, en octobre 1889. Le cardinal Lavigerie reconnaît en soeur Marie Bénie de Jésus une personnalité susceptible de servir sa politique et une femme d'une intelligence hors pair. Nommée supérieure en mai 1890, elle devient la fondatrice et la « prieure à vie » d'un des plus beaux carmels de la Méditerranée, qu'elle édifie grâce à sa fortune sur les hauteurs d'Alger.
Mais la loi du 1er juillet 1901 met en péril le monde congréganiste. Mère Bénie de Jésus se rend à Paris pour défendre elle-même son dossier auprès du président du Conseil. Au terme de cet entretien de mai 1903, Émile Combes aura ces mots : « Princesse, vous m'avez vaincu », à quoi Mère Bénie de Jésus rétorquera : « Monsieur le Président, j'étais venue pour faire votre conquête, et c'est moi qui pars conquise. » S'amorce alors une complicité affective qui ne se démentira jamais.
Or, en octobre 1911, le pape Pie X fait fermer le carmel. Relevée de ses voeux, la princesse revient dans le siècle, à quarante-sept ans, en femme libre et conquérante. Elle renoue avec le monde des salons, côtoie les politiques, devient une proche du cardinal Baudrillart. Son audace la pousse, à la veille de la Seconde Guerre mondiale et alors qu'elle est fort âgée, à travailler pour le renseignement français.
Tous ceux qui se sont intéressés à l'histoire des idées, aux interrogations philosophiques, aux débats portant sur le catholicisme, aux combats d'ordre politique et social, ou simplement à la vie mondaine, aux relations entre figures importantes du XIXe siècle, ont croisé Madame Swetchine. Pendant longtemps, jusqu'aux années vingt du XXe siècle, elle est demeurée très connue. Et puis on l'a un peu oubliée, son image s'est effacée. Peut-être est-ce la redécouverte de Tocqueville et l'étude du catholicisme libéral et du catholicisme social qui ont ranimé l'intérêt qu'elle suscitait de son vivant. Aucune biographie pourtant ne lui a été consacrée depuis près de cent ans. Le regard que nous portons aujourd'hui sur l'époque et les civilisations qu'elle a connues, les épreuves qu'elle a subies, s'est beaucoup modifié. La connaissance des décennies qu'elle a traversées, des événements, des crises et des enjeux, s'est passablement enrichie. Il est temps de lui rendre la place qui fut la sienne. Certes, Sophie Soymonov n'a jamais cherché à être sur le devant de la scène. Mais celle qu'on a appelée « la mystérieuse Madame Swetchine », « la Madame de Sévigné russe » et dont Jean Guitton a rappelé que pour le christianisme son rôle avait été oecuménique est une figure que l'on a envie de retrouver.