Contrairement à ce qu'affirment tous les fondamentalismes, la transmission d'un héritage ne doit pas être une réplication à l'identique. Elle dépend d'une infidélité partielle, garante de surgissements inattendus, aujourd'hui comme hier.
Mariant filiation et rupture, la tradition juive ne se renouvelle qu'en étant bousculée et nourrie par sa rencontre avec d'autres. Delphine Horvilleur illustre brillamment cette vision ouverte de la religion et revisite, loin des interprétations convenues, quelques épisodes fameux de la Genèse. Elle montre aussi sa capacité à repenser les grands problèmes contemporains à partir de la tradition rabbinique.
Procédant avec clarté et humour, elle aborde successivement trois thèmes : comment, selon le judaïsme, se fabriquent un parent, une identité et un désir, c'est-à-dire la possibilité d'enfanter l'avenir.
Pétillant d'intelligence. Jean-François Birker, La Croix.
Après vingt-cinq ans passés à observer le vécu et le comportement des femmes dans des zones de conflit du monde entier (Bosnie, Afghanistan, RDC, Kurdistan...), Carol Mann, historienne et sociologue, a voulu étudier dans la même perspective « genrée » un sujet qui la touche personnellement : l'expérience des femmes pendant la Shoah en France, ce qui jusqu'ici n'avait pas été traité en profondeur. Elle l'a fait à partir de la lecture de journaux intimes (Hélène Berr, Tereska Torrès et d'autres inédits) et surtout des milliers de lettres, et cartes postales, écrites principalement dans le camp de Drancy et rassemblées au Mémorial de la Shoah, dont certaines n'avaient pas été ouvertes depuis la guerre.
À côté d'une analyse rigoureuse de la sociologie des victimes (israélites françaises et réfugiées de l'Est, bourgeoises et femmes du peuple...), on a ici la présentation d'un matériau unique : la tragédie en direct, écrite dans l'urgence sur des cartes réglementaires ou des feuilles à carreaux cachées dans des paquets, voire sur des bouts de papier jetés des wagons plombés. Leurs autrices, obsédées jusqu'au bout par la survie de leurs proches, ignorent encore ce qui les attend dans les camps de la mort, ce qui rend la lecture de ces documents d'autant plus poignante.
Dans notre société sceptique et désabusée, les anges continuent de fasciner. Êtres invisibles et proches de l'homme, créatures de Dieu révélant Sa présence, ils font vibrer notre monde au diapason d'une réalité plus haute. S'ils ont essaimé dans toutes les traditions monothéistes, c'est bien dans la Bible hébraïque qu'ils dévoilent d'abord leur visage mystérieux et familier.
Catherine Chalier en revisite les grands épisodes - les hôtes d'Abraham, la voix du Buisson ardent, mais aussi celui que combattit Jacob ou encore l'Accusateur de Job - pour mieux en révéler la polyphonie. Par delà leur diversité apparente, chacun de ces épisodes éclaire l'homme sur lui-même et sur le sens de sa finitude. De l'ange annonciateur à l'ange destructeur, ce sont autant de figures qui nous introduisent au face-à-face avec l'Autre divin. Autant de lectures, aussi, rationalistes, éthiques ou mystiques, depuis les Sages du Talmud et Philon d'Alexandrie jusqu'à Maïmonide, au Zohar et aux maîtres hassidiques, pour ce voyage à travers la tradition juive dans sa diversité et son unité.
Selon certains philosophes, espérer serait au mieux une consolation, et il conviendrait de l'abandonner au profit d'une sérénité plus forte que les malheurs. Mais dénoncer la vanité de tout espoir est-il si sage ? Comment comprendre que, même dans des situations terribles, l'espoir déserte rarement tout à fait le coeur humain ? Pourquoi cette insistance de l'espoir à surprendre jusqu'aux partisans d'une lucidité qui le récuse ?
Espérer, c'est discerner au coeur du tragique et de la tentation du désespoir, ce qui peut nous y soustraire. C'est aussi résister à la pensée que la nécessité régit ce qui advient. L'espoir n'est ni une compensation ni une consolation. Plus profondément, il espère une réparation du présent. Surtout, il atteste surtout une ouverture de la finitude humaine sur ce qui l'excède. Espérer, c'est s'avancer vers ce qu'on ne voit pas et ce qu'on ne prévoit pas mais qui, déjà, nous affecte. Dans le cadre biblique, l'espoir se fonde sur une promesse qui ne concerne pas uniquement l'avenir humain et le sens de l'histoire. Il ouvre une perspective eschatologique relative à un monde qu'aucun oeil n'a vu. La question " as-tu espéré ? " nous sera d'ailleurs posée après notre mort, selon le Talmud. Espérer apparaît alors comme une vertu des plus exigeantes.
Etty Hillesum n'a cessé de nourrir la pensée de ceux qui, après sa disparition dans l'enfer nazi, ont trouvé une immense force spirituelle dans les pages du Journal qu'elle a laissé. La jeune femme hollandaise avait à sa table de travail, dans la petite chambre qu'elle occupait à Amsterdam au début des années 1940, la photographie d'une « petite marocaine », anonyme, aux yeux de feux.
Dans un univers fictionnel, Karima Berger ressuscite la figure de la petite marocaine et la fait entrer dans un dialogue d'une grande intensité spirituelle avec Etty Hillesum. Deux jeunes femmes, une juive, une musulmane, nouent au fil des pages une complicité pour dire le monde, et lui donner sens, même lorsqu'il paraît sombrer. Dans cet abandon au siècle, à ses périls, il y a une forme de résistance intérieure, un combat spirituel qui se fait jour chez ces deux attentives, l'une qui lit Rilke, l'autre le Coran.
Les phrases d'Etty Hillesum, qui rythment cet ouvrage, résonnent de manière inouïe, radicalement contemporaine, et donnent un écho inédit aux paroles des anonymes qui, telle la jeune marocaine, veillent intérieurement à l'ordre du monde.
Dans "Le Silence du nom", Esther Cohen rassemble des essais traitant du nom qui, dès son apparition, nous marque de l'empreinte de la mort. Elle aborde plus particulièrement cette symbolique de l'acte de la dénomination dans la tradition juive et kabbalistique, mais aussi chez des philosophes modernes comme Levinas, Benjamin ou Derrida.
« L'essence du langage, écrit Levinas, est amitié et hospitalité. Et dans cette "maison" où habite l'homme, le nom propre est l'espace où la générosité du langage manifeste sa plus grande capacité d'accueil. C'est parce que nous sommes les hôtes du nom, humbles invités dans la maison du temps, que par la noblesse de la parole nous pouvons vivre notre vie. Le nom propre est notre première demeure dans le monde des hommes, le refuge vers lequel nous pousse le ventre maternel. En lui, et sans même en avoir conscience, nous survivons à l'arrachement originaire : en lui nous habitons le monde. » E.C.