Une journée dans la vie d'une femme. Vivant dans la haute société anglaise, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'héroïne s'interroge sur ses choix - pourquoi n'a-t-elle pas épousé l'homme qu'elle aimait vraiment, qui lui rend visite ce jour-là? -, ses souvenirs, ses angoisses - pourquoi est-elle si frappée par la mort d'un ancien militaire qui ne s'est pas remis de la guerre, pourtant un parfait inconnu pour elle? Crise existentielle qui mène à un dédoublement de personnalité, aux portes de la folie. Ce grand monologue intérieur exprime la difficulté de relier soi et les autres, le présent et le passé, le langage et le silence, mais aussi de se reconnaître soi-même. Comment s'émanciper du carcan social, comment assumer son identité? Publié en 1925, Mrs Dalloway est le chef-d'oeuvre de Woolf et l'un des piliers de la littérature du XX? siècle. Dans ce roman poétique, porté par la musique d'une phrase chantante et d'une narration incisive, les impressions deviennent des aventures.
Pourquoi Hamlet n'a-t-il pas été écrit par une femme? À cette question, faussement naïve et vraiment provocante en 1929, Woolf répond:car une femme n'aurait pas eu «un lieu à elle» pour écrire. De quel lieu s'agit-il? Espace concret de la pièce de travail où s'isoler; espace temporel où les femmes sont libérées des tâches domestiques; espace mental où elles sont libres de penser. Espace de liberté économique, aussi, qui leur permette de s'assumer seules. C'est enfin l'espace qui reste à créer dans la tête des hommes (et des femmes) pour admettre que oui, les femmes peuvent travailler, penser et écrire à l'égal des hommes. Impeccable démonstration historico-sociale sur les obstacles qui ont conduit les femmes à demeurer dans un état de minorité face aux hommes, Un lieu à soi est un texte hybride, tout à la fois essai, récit autobiographique, fiction utopique et manifeste idéologique. Woolf met sa finesse et son ironie au service d'une cause toujours actuelle.
Un amour de Swann est un fragment de À la recherche du temps perdu, la deuxième partie de Du côté de chez Swann.
Son sujet en est l'amour et la jalousie qu'éprouve Swann pour Odette de Crécy. C'est pourquoi il a depuis toujours fait l'objet d'éditions séparées, comme s'il constituait un petit roman autonome.
Écrit sous un pseudonyme masculin, paru en 1847, Hurlevent est le premier et le seul roman d'Emily Brontë, qui mourra un an plus tard. Ce livre aux péripéties violentes, qui fit scandale et fascina des générations d'écrivains - de Virginia Woolf à Patti Smith, en passant par Georges Bataille -, raconte l'histoire d'un amour maudit, dont l'échec pèse sur toute une famille et sur deux générations, jusqu'à l'apaisement final.
«Emily était pareille à un petit volcan qui, endormi, aurait pourtant bouillonné sans arrêt et aurait craché sa lave dans les mots et les actions des personnages qu'elle avait choisis. [.] Son esprit sans entrave n'a pas créé un monde propret. En écrivant Hurlevent, elle n'a pas offert ce que les gens souhaitaient : elle a offert ce qu'elle avait.» Patti Smith.
«La soif qu'elle éprouvait de vivre et de s'épanouir, comme une fleur longtemps privée d'air et de soleil, devenait de plus en plus ardente.»Revenue par hasard dans la ville de son enfance après dix ans d'absence, Laurence retrouve son amie Pauline, restée auprès de sa mère infirme. Celles qui se sont connues à quinze ans au pensionnat se redécouvrent l'une l'autre, non sans admiration réciproque. Mais quand un homme s'en mêle, l'harmonie est menacée... Leur amitié y survivra-t-elle ?
Alors que M. Flochardet ramène de pension sa fille unique de huit ans, Diane, un accident sans gravité les contraint à passer une nuit au château de Pictordu, abandonné et en partie en ruines. Ce lieu a la réputation d'être hanté : est-il vraiment gardé par la mystérieuse «Dame au voile», dont Diane croit avoir entendu l'invitation à entrer après l'accident ? Un conte enchanteur, un merveilleux portrait d'enfant par l'auteur de La petite Fadette.
L'immense succès de Jane Eyre (1847) fait de Charlotte Brontë une romancière reconnue. L'élaboration de son nouveau roman sera douloureuse : en l'espace de huit mois, Branwell, Emily et Anne disparaissent, faisant d'elle la seule survivante d'une exceptionnelle fratrie d'écrivains. Shirley paraît en 1849. En toile de fond, la lutte des ouvriers du textile contre la mécanisation. Au premier plan, deux héroïnes se disputant l'attention de Robert Moore : une héritière cultivée et fougueuse, et une orpheline douce et timide ; la première est inspirée d'Emily, la seconde d'Anne. L'ouvrage voit resurgir les héros des oeuvres de jeunesse (Napoléon, Nelson, Wellington), oeuvres dont on ne dira jamais assez l'importance. Il propose de magnifiques portraits de femmes cherchant leur place dans une Angleterre patriarcale.Pour Villette, qui suit en 1853, Charlotte fait appel aux souvenirs de son séjour à Bruxelles en 1842-1843. Élève puis professeur dans un pensionnat, elle avait été séduite (intellectuellement) par Constantin Heger, qui donnait des cours de rhétorique dans l'établissement tenu par son épouse. Elle transpose cette expérience dans le personnage de Lucy Snowe, qui s'éprend d'un confrère revêche. Certains contemporains ont jugé «pervers» l'humour de la romancière, mais le ton caustique et l'extraordinaire vivacité de la langue font aujourd'hui le charme du livre, où se mêlent réalisme et gothique - un gothique d'artifice, décalé. Aussi important que méconnu, Villette, qui fait la part belle aux non-dits et aux ellipses, et dont le dénouement est laissé à l'interprétation du lecteur, est un grand livre à la modernité troublante.
«Je vous embrasse, ma chère bonne. Si vous pouvez, aimez-moi toujours, puisque c'est la seule chose que je souhaite en ce monde pour la tranquillité de mon âme. Je souhaite bien d'autres choses pour vous. Enfin tout tourne ou sur vous, ou de vous, ou pour vous, ou par vous.» (23 mars 1671) Pendant près d'un demi-siècle, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné (1626-1696), a écrit des centaines de lettres à ses amis et à son entourage, mais surtout à sa fille après son mariage avec M. de Grignan en 1669. Publiée au XVIII? siècle, cette correspondance privée sera unanimement célébrée et servira de modèle à des générations.
Mariée, au sortir de l'adolescence, à un vieux colonel, antipathique et autoritaire, Indiana est contrainte à une routine d'outre-tombe. Tout la disposait pourtant à être sauvée par l'amour:Raymon, par qui elle se laisse séduire, possède la jeunesse et la fougue que n'a plus son mari. Indiana se trouve prise dans les turpitudes de la passion, car le désir du jeune homme se révèle bientôt un appétit plus redoutable que la brutalité de son mari repu. Oppressée dans son mariage, Indiana cherche une aventure:celle-ci achèvera de l'opprimer. «J'ai écrit Indiana avec le sentiment non raisonné, mais profond et légitime, de l'injustice et de la barbarie des lois qui régissent encore l'existence de la femme dans le mariage, dans la famille et dans la société.» Paru en 1832, Indiana fut lu comme un pamphlet contre le mariage, et lança la carrière littéraire de l'auteure. Sand y expose les libérations illusoires qui enferrent les femmes dans une vie dont elles n'ont pas la clef. Son récit inverse le trajet habituel du roman:pour pouvoir être aimée, l'héroïne devra d'abord se libérer.
Qu'on l'appelle sorcière ou farfadet, le personnage de la petite Fadette est nimbé d'une inquiétante magie. Les paysans l'accusent d'avoir ensorcelé un jeune villageois tombé amoureux d'elle : Landry est en effet métamorphosé par cette jeune fille mystérieuse. Mais, en fait de magie, Fadette initie le jeune homme aux secrets de la nature, pour laquelle elle nourrit une foi simple et raisonnée. Cette alchimie s'exprime aussi dans la matière du roman. Sand explore la langue comme la Fadette parcourt la campagne : à l'écoute de toutes ses nuances et variations, elle découvre dans le dialecte du Berry le refuge d'un français que l'académisme avait étouffé. Au secours de ces rythmes oubliés, l'écrivaine marie les langues, croise les registres pour forger une écriture neuve. Ces explorations de la nature et de la langue ont tout d'un combat : l'héroïne devra faire preuve de ruse et d'acharnement pour venir à bout des superstitions paysannes. Au-delà des charmes d'une lecture bucolique, La Petite Fadette a la profondeur d'un ensorcellement.
La voix de Tsvétaïéva résonnait de quelque chose d'inconnu et d'effrayant pour l'oreille russe : l'inadmissibilité du monde. Ce n'était pas une réaction de révolutionnaire ou de progressiste revendiquant des améliorations, pas plus qu'un conservatisme ou un snobisme d'aristocrate qui se souvient des jours meilleurs. Sur le plan du contenu, il s'agissait de la tragédie de l'existence en général, indépendamment de son contexte temporel. Sur le plan du son, il s'agissait d'une aspiration de la voix à la seule direction qui lui était possible : vers le haut. De la même façon que l'âme aspire à sa source. (Joseph Brodsky)
Avec trois textes inédits et des reproductions de manuscrits en fac-similé
Middlemarch (1871-1872) est le plus grand roman victorien, et aux yeux de certains le meilleur roman de langue anglaise, toutes époques confondues. Quête de la vérité menée de plusieurs points de vue, le livre ne saurait être réduit au destin de Dorothea Brooke, jeune fille altruiste et utopiste qui épouse un érudit desséché. Autour du couple gravitent de nombreux personnages, assujettis à des liens familiaux, conjugaux, de voisinage, d'intérêts. George Eliot entrelace les destins individuels, ménage des rebondissements dignes d'un feuilleton, sans jamais céder à la facilité : sa peinture psychologique est de la plus grande finesse lorsqu'elle décrit les désirs et les tragédies de ceux dont les vies s'entremêlent sur la trame d'une même étoffe. Son acuité peut se parer d'ironie, sans que jamais s'étiole la sympathie qu'elle éprouve pour ses créatures confrontées à la défaite de leurs aspirations. Les événements se déroulent dans l'Angleterre provinciale des années 1830, mais ce «plaidoyer pour la beauté des vies ordinaires» (Mona Ozouf) a pour sujet les passions humaines, qui sont sans âge.
Middlemarch est ici précédé du chef-d'oeuvre de la première période de George Eliot, Le Moulin sur la Floss (1860). Eliot, née Mary Anne Evans, a mis beaucoup d'elle-même dans le personnage de Maggie Tulliver, petite fille turbulente à la nature exaltée, passionnée par les livres, «aussi affamée de savoir qu'elle l'est d'amour» (M. Ozouf). Proust avouait avoir pleuré à la lecture de ce roman du paradis perdu de l'enfance. Maggie sera victime de l'ostracisme social - comme sa créatrice, qui vécut vingt-cinq ans avec un homme qui n'était pas son mari et chercha, à travers une oeuvre littéraire liant l'intellect aux sentiments, à obtenir cette respectabilité chère aux victoriens.
À sa mort, en 1880, elle fut célébrée comme «le plus grand romancier anglais contemporain». On ne lui permit pourtant pas d'être enterrée, comme l'avait été Dickens, dans le «Coin des poètes» de l'abbaye de Westminster.
Lorsqu'en 1847 George Sand, qui a déjà fait paraître ses plus grands romans, entreprend à quarante-trois ans son Histoire de ma vie, elle définit ainsi son futur livre : « C'est une série de souvenirs, de professions de foi et de méditations dans un cadre dont les détails auront quelque poésie et beaucoup de simplicité. Ce ne sera pourtant pas toute ma vie que je révélerai. » Son modèle n'est pas Rousseau, ni d'ailleurs les Mémoires d'outre-tombe qui vont commencer à être publiés et où elle voit trop de pose et de drapé. Son ambition n'est pas d'inscrire sa vie dans le mouvement de l'Histoire, mais d'offrir le récit d'une existence de femme et d'écrivain qui côtoie rapidement Balzac et Sainte-Beuve, l'abbé de Lamennais et le socialiste Pierre Leroux - et bien sûr Musset et Chopin.
Le lecteur trouvera ici le tiers, environ, de cette oeuvre immense dont les vingt volumes commencent à paraître en 1854 et qui occupe une place essentielle dans l'histoire de l'autobiographie. Car si d'autres femmes, avant Sand, ont écrit des mémoires, la singularité de son Histoire de ma vie est qu'on y découvre pour la première fois le récit de formation d'une jeune fille qui a voulu être artiste - mais un récit sans égotisme parce que au miroir de sa propre existence elle désire que se retrouvent tous les autres enfants du siècle :
« Ecoutez ; ma vie, c'est la vôtre. » Edition de Brigitte Diaz.
L'édition est destinée aux élèves de Seconde (poésie).
1839. «Le roi des romanciers modernes, c'est une femme», déclare Jules Janin, prince des critiques. Certes, il s'agit pour lui d'ôter sa couronne à Balzac, dont il n'a pas aimé Illusions perdues. Mais son admiration pour George Sand (car c'est elle, «le roi») est sincère, et partagée : par Balzac lui-même, puis par Flaubert, qui comparera son amie à un grand fleuve d'Amérique : «Énormité et Douceur.» Voilà ce que fut la romancière pour ses contemporains. On est loin de la considération réticente dont se contentera longtemps la postérité, avant que le vent ne tourne de nouveau, en faveur cette fois de l'oeuvre, soutenue par une personnalité qui rayonna sur plusieurs scènes littéraire, politique, sociale. Sand a publié plus de soixante-dix romans. Les quinze que voici ont été choisis pour leurs qualités propres et parce qu'ils illustrent ses différentes manières. Indiana, immense succès, est le premier qu'elle signe de son nom de plume. Le roman-poème de Lélia - révolte métaphysique et sexualité féminine en 1833 - fait scandale. Mauprat échappe aux qualificatifs ou les mérite tous : roman historique, familial, d'amour, d'aventures, noir, humanitaire, social... Pauline est un «roman de l'artiste», veine à laquelle appartient aussi, le diptyque constitué de Lucrezia Floriani et du Château des Désertes. Isidora surprend par sa modernité, forme et fond. Le triptyque champêtre, La Mare au Diable, François le Champi, La Petite Fadette, fait de Sand une pionnière de l'ethnographie et de l'ethnolinguistique, et de l'ethnomusicologie si l'on y ajoute Les Maîtres sonneurs. Dans Elle et lui passe l'ombre de Musset. (Pour celle de Chopin, voyez Lucrezia.) La Ville noire est un roman «industriel» à la fois réaliste et utopiste. Juste avant Voyage au centre de la Terre, Laura, voyage dans le cristal débusque le fantastique au coeur de la science. Nanon enfin récrit l'histoire de la Révolution en donnant la parole à une paysanne. «Je fais des romans, parce que c'est une manière de vivre hors de moi», dit Sand, prompte à se glisser «dans la peau de [s]es bonshommes», comme elle appelle ses personnages. L'essentiel pour elle est dans le mouvement vers l'autre, quête inquiète et patiente ; ce qu'avait bien senti Janin, qui voyait en elle l'«un de ces grands esprits plein d'inquiétudes qui cherchent leur voie». Quadriller le monde social est nécessaire, non suffisant. Si le roman est un plaidoyer (pour les femmes, contre les lois du mariage, pour la justice...), le bon roman exige que soient mêlés «le réel et le poétique». Ainsi naît le romanesque, principe de liberté : c'est l'artiste qui crée le réel, «son réel à lui». Le roman chez Sand a un effet sur «l'emploi de la vie». De lumineuses figures de femmes y mènent un combat pour l'idéal. Vaste dessein. Flaubert (comme toujours) avait raison : énormité et douceur.
En publiant un unique livre en 1555, Louise Labé a fait entendre une voix nouvelle. Un dialogue mythologique insolent et facétieux, trois élégies et vingt-quatre sonnets, le tout précédé d'une saisissante épître programmatrice et suivi de vingt-quatre poèmes de «divers Poètes» en son honneur : autant de manières de renouveler les représentations de l'amour transmises par la littérature et la société et de revendiquer pour les femmes le droit de penser et d'écrire.Cette nouvelle édition intégrale des Oeuvres de Louise Labé Lyonnaise donne à entendre cette voix pour les lecteurs d'aujourd'hui, notamment grâce à une double annotation qui éclaire à la fois les subtilités lexicales et les références d'une écriture originale et puissante. Dossier 1. La fabrique des «Écrits de divers Poètes» 2. Qui a participé aux Oeuvres de Louise Labé Lyonnaise ? 3. Dans l'atelier des sonnets : les sonnets II et III 4. Chronologie : Louise Labé à travers les archives 5. L'histoire du livre et de sa réception.
La femme de trente ans, qui est-elle? Mariée, elle est au sommet de sa vie, car c'est là qu'elle prend sa liberté, c'est-à-dire un amant, ce dont Balzac la félicite, mais que la société punit cruellement. Voici donc l'un des romans les plus engagés de Balzac, dans lequel il dénonce la condition des femmes, mariées à des hommes dont elles découvrent trop tard les défauts, et vieilles déjà à la moitié de leur vie. L'auteur constate l'échec du mariage d'amour et, avec ces enfants nés sans amour, l'échec de la maternité. Cette histoire sombre, où la sexualité joue un rôle étonnamment moderne, est traitée avec une grande liberté de ton : le roman historique croise le roman-feuilleton, et jusqu'aux histoires de pirates. C'est aussi un véritable essai, où la peinture psychologique mène à la revendication politique et sociale. À rebours d'une politique des âges de la vie figée, Balzac montre qu'à tout âge la femme a le droit d'aimer et d'être aimée, même en dehors du mariage, et d'être reconnue par la société pas seulement comme épouse et mère, mais comme femme.
1839. «Le roi des romanciers modernes, c'est une femme», déclare Jules Janin, prince des critiques. Certes, il s'agit pour lui d'ôter sa couronne à Balzac, dont il n'a pas aimé Illusions perdues. Mais son admiration pour George Sand (car c'est elle, «le roi») est sincère, et partagée : par Balzac lui-même, puis par Flaubert, qui comparera son amie à un grand fleuve d'Amérique : «Énormité et Douceur.» Voilà ce que fut la romancière pour ses contemporains. On est loin de la considération réticente dont se contentera longtemps la postérité, avant que le vent ne tourne de nouveau, en faveur cette fois de l'oeuvre, soutenue par une personnalité qui rayonna sur plusieurs scènes littéraire, politique, sociale. Sand a publié plus de soixante-dix romans. Les quinze que voici ont été choisis pour leurs qualités propres et parce qu'ils illustrent ses différentes manières. Indiana, immense succès, est le premier qu'elle signe de son nom de plume. Le roman-poème de Lélia - révolte métaphysique et sexualité féminine en 1833 - fait scandale. Mauprat échappe aux qualificatifs ou les mérite tous : roman historique, familial, d'amour, d'aventures, noir, humanitaire, social... Pauline est un «roman de l'artiste», veine à laquelle appartient aussi, le diptyque constitué de Lucrezia Floriani et du Château des Désertes. Isidora surprend par sa modernité, forme et fond. Le triptyque champêtre, La Mare au Diable, François le Champi, La Petite Fadette, fait de Sand une pionnière de l'ethnographie et de l'ethnolinguistique, et de l'ethnomusicologie si l'on y ajoute Les Maîtres sonneurs. Dans Elle et lui passe l'ombre de Musset. (Pour celle de Chopin, voyez Lucrezia.) La Ville noire est un roman «industriel» à la fois réaliste et utopiste. Juste avant Voyage au centre de la Terre, Laura, voyage dans le cristal débusque le fantastique au coeur de la science. Nanon enfin récrit l'histoire de la Révolution en donnant la parole à une paysanne. «Je fais des romans, parce que c'est une manière de vivre hors de moi», dit Sand, prompte à se glisser «dans la peau de [s]es bonshommes», comme elle appelle ses personnages. L'essentiel pour elle est dans le mouvement vers l'autre, quête inquiète et patiente ; ce qu'avait bien senti Janin, qui voyait en elle l'«un de ces grands esprits plein d'inquiétudes qui cherchent leur voie». Quadriller le monde social est nécessaire, non suffisant. Si le roman est un plaidoyer (pour les femmes, contre les lois du mariage, pour la justice...), le bon roman exige que soient mêlés «le réel et le poétique». Ainsi naît le romanesque, principe de liberté : c'est l'artiste qui crée le réel, «son réel à lui». Le roman chez Sand a un effet sur «l'emploi de la vie». De lumineuses figures de femmes y mènent un combat pour l'idéal. Vaste dessein. Flaubert (comme toujours) avait raison : énormité et douceur.
Marguerite Duras, qui fut une légende vivante, s'incarne pour beaucoup dans un livre particulier : souvent Un barrage contre le Pacifique (1950) ou L'Amant (1984), parfois Le Ravissement de Lol V. Stein (1964), ou encore dans un film et sa mélodie, India Song (1973). Plus rares sont les lecteurs qui se représentent l'oeuvre dans sa continuité souterraine. À travers la diversité des genres - romans, nouvelles, théâtre, scénarios, films -, Duras n'a jamais cessé d'explorer l'écriture elle-même. Car c'est précisément la recherche d'une voix qui lui fût propre qui l'a amenée à composer pour le théâtre (où le langage «a lieu») comme à prendre la caméra : «Je parle de l'écrit même quand j'ai l'air de parler du cinéma. Je ne sais pas parler d'autre chose.» Bien sûr, l'expérience de l'écriture dramatique ou cinématographique influence l'écriture romanesque, et certains sujets passent d'un genre ou d'un support à un autre, mais il y a plus : peu à peu se fait jour un style reposant...
Ce volume contient l'ensemble de l'oeuvre romanesque de Marguerite Yourcenar, plus une chronologie. Dans un avant- propos, l'auteur explique la composition de l'ouvrage : «On trouvera dans ce volume ceux de mes ouvrages qui rentrent plus ou moins dans la catégorie du roman, de la nouvelle ou du conte, catégorie devenue si vaste de nos jours qu'elle échappe de plus en plus aux définitions. C'est ce qui a permis de placer ici Feux, considéré comme une série de récits entremêlés de pensées, encore que l'appellation de poèmes en prose eût également convenu. L'ordre dans lequel les textes sont ici présentés n'est qu'à demi chronologique. Dans le présent volume, on a choisi de placer en tête trois ouvrages d'avant 1939, représentatifs, avec des nuances variées, des deux premières manières de l'écrivain, d'une part Alexis et Le Coup de grâce, très proche de la sobriété du récit classique, et de l'autre Denier du rêve, marqué par un intense expressionnisme, que le remaniement subi par ce dernier roman vers 1957 n'a pas diminué. Viennent ensuite les oeuvres dont la composition m'aura occupée, de façon d'ailleurs intermittente, durant une bonne partie de ma vie, Mémoires d'Hadrien, L'Oeuvre au noir et les trois nouvelles de Comme l'eau qui coule. Les deux recueils, Feux - bien que ses récits, tous des années 1935-1937, soient d'une inspiration très proche de celle de Denier de rêve - et Nouvelles orientales, fait d'une série de contes de dates très diverses, ont été placés à la fin du livre.»
Collection « Classiques » dirigée par Michel Zink et Michel Jarrety Marguerite de Navarre L'Heptaméron La crue des eaux retient à Cauterets, où ils étaient en cure, dix dames et gentilshommes qui décident de se divertir en racontant chacun une histoire par jour : une histoire qui n'est pas inventée, tantôt gaie, tantôt grave, qui narre les aventures du désir, les drames et les comédies de l'amour.
Dix récits par jour et pendant sept jours : d'où le titre L'Heptaméron qui, en 1559, fut donné au recueil inachevé de la reine de Navarre, soeur de François Ier, et qui aurait dû comprendre dix journées, comme le Décaméron de Boccace qui lui sert de modèle.
La parole certainement est réglée. Elle est également diverse, et sa liberté aussi bien que son humour nous enchantent. On raconte, en effet, mais ensuite on devise, et ce sont des conversations passionnées où chacun commente ou conteste les récits, médite sur la différence des sexes, les désordres de la chair, le vice et la vertu pour finalement lever le voile des apparences et mettre à nu le coeur humain.
Edition présentée et annotée par Gisèle Mathieu-Castellani.
« Distrait, inattentif, ennuyé », Adolphe, à 22 ans, trouve « qu'aucun but ne vaut la peine d'aucun effort ». Un beau jour, pourtant, il a envie d'être aimé et décide de conquérir Ellénore. Bien vite, « le charme de l'amour » lui pèse comme une chaîne. Ellénore, lui sacrifiant « fortune, enfants, réputation », empoisonne de remords sa belle indifférence. La souffrance d'Ellénore n'est pour Adolphe qu'un moyen de se connaître et d'éprouver sa propre lucidité. Plus elle l'aime et lui donne, plus il se refuse, écrasé par sa propre inaptitude à aimer. Cet éternel pas de deux se répète à satiété. Mais, tandis que pour Adolphe il suscite invariablement le même état d'âme et l'absence de véritable émoi, il est pour Ellénore, rongée par l'amertume et l'horreur du non-amour, l'accomplissement d'une fatalité mortelle.