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IRENE GAYRAUD
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Pressoir : le dernier chant de Gabriela Mistral, prix Nobel de littérature
Gabriela Mistral
- Unes
- 8 Septembre 2023
- 9782877042659
Seize années séparent la publication d'Essart (Unes, 2021) de celle de Pressoir. Seize ans marqués pour Gabriela Mistral par des déchirements collectifs - la seconde guerre mondiale - et intimes - le suicide de son fils adoptif Miguel à l'âge de 17 ans. C'est pourquoi Pressoir, paru en 1954, dernier livre que publiera Mistral avant sa mort trois ans plus tard, est à ce point marqué par la séparation et l'arrivée, la construction et la défaite. La langue et l'espace se sont resserrés, les vers raccourcis, les poèmes acérés, leur souffle se fait plus bref. Mistral convoque toute la force du deuil, du souvenir et de l'amour, convoque au fil de poèmes bouleversants les visages chers, les dernières promesses de pitaya et de menthe, de pain et de sel. Et même si les « fruits sont sans lumière », même si « la lumière est malade » et que les regards perdus sont « de pure absence et d'exil », la poète chilienne fait là sa dernière ronde avant minuit, son ultime vagabondage dans sa terre désolée. Réduction à l'essentiel d'une parole rare dont Gabriela Mistral, danseuse qui danse « la danse de la perte », préserve et transporte la lumière pour transmettre son dernier message terrestre avant la nuit.
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Quelle est cette terre que Gabriela Mistral cherche à essarter, à défricher ? Celle de son Chili natal, de la Cordillère des Andes, des légendes Mayas ? Ou la terre des exils et des ombres ? Essart est un livre mystérieux ; on lit ces poèmes comme on marche sur une terre ouverte, dont on embrasse les sommets du regard, cheminant au plus près d'une parole dense et profonde, rustique et mystique. Gabriela Mistral hisse ses poèmes vers la fable, au moyen d'une langue bruissante d'hommes et de dieux, de traditions et de légendes, de dialectes archaïques. Nous sommes séparés, Mistral nous rassemble dans la circulation interne d'un pouls, d'un sang à la pulsation puissante qui a le mouvement d'un fleuve. On se perd dans un « hallali de pierres roulées », au milieu des iguanes et des tortues, des cerfs et des colombes, avec cette étrange impression d'être « toujours blessé, jamais chassé ». Essart opère une transfiguration de l'enfance en odeurs, des fantômes en brumes, des hommes en paysages, des visages en fables, des peuples en fleuves, des corps en zodiaques et des dieux en rêves, en une lumière qui mystifie tout. Dans ces poèmes où vivre et mourir, dans cette confession plus vaste que soi, des profusions de monde aux « quarante points cardinaux » tiennent dans un mot, dans une langue habitée, c'est à dire peuplée de souvenirs, de charmes, de fleuves, d'oiseaux et de fleurs, de disparitions et d'esprits, vaste comme un horizon ou un ciel étoilé. Cette voix qui nous soulève vers la liberté, nous berce entre les épiphanies et les pleurs avec « le pur rythme tranquille des vieilles étoiles » semble ne jamais vouloir interrompre son chant, ne jamais briser le sortilège et c'est ce qui nous tient, nous emmaillote à ces lignes : la crainte d'une magie dissipée, le retour brutal sur la terre vide et nue, inconsolables de la fable. Aussi nous ne quittons ni les anges, ni le rêve de cette poésie qui « regarde le monde aussi familièrement que si elle l'avait créé. »