B42
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Les liens qui empêchent : l'homophobie familiale et ses conséquences
Sarah Schulman
- B42
- Culture
- 10 Mai 2024
- 9782494983113
Dans cet essai, Sarah Schulman s'intéresse à l'homophobie et interroge sa reproduction au sein même du cercle familial, quand bien même ce dernier devrait être le lieu du développement et de la croissance de chacun. En s'appuyant aussi bien sur des théories sociologiques que sur des expériences et témoignages individuels, l'autrice décortique les mécanismes qui conduisent les familles à exclure certains de leurs membres, faisant par-là de l'hétérosexualité un standard auquel il serait mauvais de déroger. Bien que l'homosexualité soit de plus en plus représentée dans les médias et dans la culture populaire, Sarah Schulman montre en quoi celle-ci est souvent caricaturale, et reste encore trop souvent pathologisée. Plutôt que de comprendre la cause de l'homosexualité, l'autrice entreprend d'interroger les raisons de l'homophobie, afin de mieux les combattre. En s'inspirant de nombreux travaux de sociologie portant sur les mécanismes de domination, l'autrice montre que nombre d'hétérosexuels discriminent les individus homosexuels et exercent sur eux un rapport de domination leur permettant d'être mieux vus auprès de leurs pairs, et que l'ostracisation de certains individus permet parfois de gagner de multiples avantages. Virulent plaidoyer visant à faire de l'homophobie une question de société qui ne serait plus uniquement reléguée à la sphère privée, Sarah Schulman offre ici des pistes permettant de mettre un terme à la souffrance endurée par de nombreux homosexuels au sein du foyer familial. Loin de s'adresser uniquement aux lecteurs homosexuels, ce livre montre que chacun peut avoir un rôle à jouer dans le démantèlement de ces structures injustes et violentes, que ce soit en dénonçant les comportements homophobes, en défendant les personnes homosexuelles victimes d'exclusion dans son entourage, ou en obligeant les persécuteurs à prendre conscience de leurs actes et à en répondre.
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La grande révolution domestique : une histoire de l'architecture féministe
Dolores Hayden
- B42
- Essais En Design
- 17 Novembre 2023
- 9782490077960
Ce livre propose une histoire de l'architecture féministe en revenant sur les théories de plusieurs penseuses et théoriciennes étatsuniennes (Malusina Fay Pierce, Mary Livermore, Charlotte Perkins Gilman, etc.) qui postulaient dès le XIXe siècle que la prise en charge intégrale du travail domestique par les femmes constituait une des causes fondamentales des inégalités de genre. La Grande Révolution domestique donne à voir les plans innovants et les stratégies visionnaires de ces femmes ayant contribué à remettre en question notre manière de concevoir les logements et les villes modernes afin d'accompagner les femmes vers une plus grande indépendance économique et ainsi permettre l'égalité sociale. Dans ce livre, Dolores Hayden analyse les sources utopiques et pragmatiques des programmes de réorganisation domestique proposés au XIXe siècle par certaines féministes. Cette histoire d'une tradition intellectuelle peu connue en France offre une nouvelle interprétation de l'histoire du féminisme, du logement et de l'urbanisme.
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Comment dépasser la binarité de genre caractéristique de la langue française ? Cet ouvrage recontextualise l'apparition de l'écriture inclusive, questionne ses usages et recense les multiples alternatives possibles apparues depuis de nombreuses années. Si l'écriture inclusive et le « fameux » point médian ont ouvert la voie vers l'égalité des genres, il leur est aujourd'hui régulièrement reproché de reconduire cette binarité. Des initiatives portées par des dessinateur·ices de caractères typographiques offrent des espaces inédits afin de dépasser les hiérarchies de genre et les impensés théoriques tacitement induits par l'écriture inclusive.
L'analyse historiographique de ces nouvelles formes typographiques apparues dans ce contexte a conduit Camille Circlude, membre fondateur·ice de la collective Bye Bye Binary, à considérer la portée politique du dessin typographique et l'a mené·e vers le concept de post-binarisme politique. La typographie est ainsi appréhendée comme une technologie émancipatrice permettant de résister à l'hégémonie et d'habiter l'hybridation des formes et des caractères. Le dessin de caractères typographiques inclusifs, non-binaires et post-binaires offre aujourd'hui la possibilité de matérialiser les existences queer, non-binaire, genderfluid, agenre et genderfucker dans ces espaces partagés et symboliques que sont la langue et l'écriture.
Bien qu'il ne soit pas possible, ni souhaitable, de figer l'histoire de la typographie inclusive, Camille Circlude présente dans cet ouvrage un état des lieux de six années d'expérimentations (2017-2022) d'une pratique qui ne cesse de se propager, et qui continue de s'écrire au présent.
La publication simultanée de cet ouvrage avec Alliances, le quatrième Carnet à jouer de Sophie Cure et Aurélien Farina, permet de prolonger ces réflexions sur la typographie inclusive. -
Dans ce livre unique et fascinant, Avery Gordon examine l'expérience sociologique et historique des fantômes, ce qu'elle nomme la « hantise », en s'appuyant sur des références littéraires et politiques. La hantise renvoie à tout ce qui bouscule un vécu linéaire et déforme la façon dont nous séparons et séquençons habituellement le passé, le présent et le futur. En prenant pour exemple des oeuvres littéraires et en les confrontant à des sources plus traditionnelles de la sociologie (journaux, pièces judiciaires, rapports d'enquête), Matières spectrales démontre que les structures sociales héritées du passé ont plus d'influence sur la vie présente que ne le présument la plupart des chercheurs en sciences sociales.
Dans cet ouvrage, Avery Gordon analyse les relations entre connaissance, pouvoir et expérience. Afin de montrer la façon dont la hantise influence le présent, l'autrice s'appuie sur des exemples historiques comme l'esclavage aux États-Unis ou les disparitions massives pendant la dictature militaire en Argentine. Alors que des lois interdisaient à la population de parler des disparus, l'autrice suggère ainsi que c'est à partir de la reconnaissance de sa condition « hantée » que la société argentine peut espérer pouvoir affronter ses fantômes.
Plaidant pour la reconnaissance des fantômes venus des « passés qui ne passent pas », l'ouvrage ouvre au moment de sa parution en 1997 aux États-Unis une voie alors avant-gardiste - conciliant étude matérialiste des rapports sociaux de domination, critique féministe du modernisme et du post-modernisme, et respect des mondes non visibles et non humains - qui fait particulièrement écho aux préoccupations politiques et militantes actuelles.
Profondément interdisciplinaire et innovant par son approche, Matières spectrales est écrit avec une puissance à la hauteur de son sujet, et offre une vision nouvelle des intersections complexes de la race, du genre et de la classe. -
La gentrification des esprits est un retour captivant sur les « années SIDA » et l'activisme d'ACT UP dans le New York des années 1980 et 1990. Sarah Schulman, elle-même new-yorkaise et militante de la cause LGBT, se souvient de la disparition, pratiquement du jour au lendemain, de la culture rebelle queer, des loyers à bas coûts et du prolifique mouvement artistique qui se développait au coeur de Manhattan ; remplacés par des porte-parole gays conservateurs, ainsi que par le consumérisme de masse. Sarah Schulman décrit avec précision et engagement le « remplacement d'une communauté par une autre » et le processus de gentrification qui toucha ces quartiers concomitamment à la crise du SIDA.
Schulman fait revivre pour nous son Lower East Side tel qu'elle l'a connu. Elle emplit les pages de ce livre de la réminiscence vivace de ses ami-e-s de l'avant-garde queer, autant que de l'ombre inquiétante des premières années de la crise du SIDA, telles que vécues par une politiste. Les souvenirs personnels s'entremêlent à une analyse percutante des deux phénomènes, et du poids invisible qu'ils font aujourd'hui peser sur la société américaine. Schulman rend compte de son expérience en tant que témoin de la « perte de l'imagination » de toute une génération, et des conséquences entraînées par cette perte.
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Dans la polyphonie d'une île : les subversions poétiques du séga mauricien
Caroline Déodat
- B42
- Culture
- 19 Janvier 2024
- 9782490077892
Dans la polyphonie d'une île livre une généalogie raciale et coloniale du séga, une pratique poétique, musicale et dansée née à Maurice pendant l'esclavagisme colonial au sein de communautés de fugitifs, puis devenue une tradition touristique après la décolonisation. Déplier cette histoire revient à questionner la toute-puissance du colonialisme et entendre les subversions poétiques des ségatières et ségatiers de l'île Maurice. Car, dans les marges d'un rituel collectif, le séga fut l'endroit d'une création poétique où se reconfiguraient les normes de l'intime colonial. À l'heure du demi-siècle des décolonisations, Dans la polyphonie d'une île révèle les traces du colonial parmi les formes commémoratives contemporaines de séga, imposées comme sources mémorielles de la tradition mauricienne. Dans la première partie, l'autrice aborde ce sujet par le prisme des archives coloniales et retrace l'histoire des politiques culturelles qui, de 1715 à 1968, ont quadrillé les espaces des chants, des musiques et des danses de la colonie pour tracer les frontières de la race. Par quelles voix ces chants et ces danses issus de l'esclavagisme colonial arrivèrent-elles jusqu'ici, et avec eux, quels récits furent transmis ? Le séga est-il un folklore préservé par la tradition orale désormais offert à nos regards d'Occidentaux ? Par la retranscription inédite des chants de ségatiers et de ségatières que Caroline Déodat entreprend dans la seconde partie, cet ouvrage procède à l'excavation d'autres voix, dont les résonances sont activées au moyen d'un outillage conceptuel transdisciplinaire où l'anthropologie et l'ethnopoétique côtoient aussi bien la philosophie politique de Michel Foucault, Elsa Dorlin et Judith Butler que la théorie critique postcoloniale de Homi Bhabha, Frantz Fanon et Ann Laura Stoler.
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Les livres reliés en peau humaine : enquête sur la bibliopégie anthropodermique
Megan Rosenbloom
- B42
- 18 Mars 2022
- 9782490077649
À travers le monde, entourés de livres ordinaires reliés en papier et en cuir, reposent dans certaines bibliothèques des volumes d'un genre bien particulier : les ouvrages reliés en peau humaine. Dans Les Archives de la mort, Megan Rosenbloom enquête sur les vérités historiques et scientifiques qui sous-tendent la bibliopégie anthropodermique - cette pratique consistant à relier les livres avec ce cuir des plus intimes. Ces livres sont encore présents par dizaines dans les bibliothèques et les musées les plus célèbres. Megan Rosenbloom exhume ici leurs origines et ressuscite les médecins, les assassins, les innocents et les miséreux dont les récits s'entrelacent dans cet ouvrage. Au fil du texte, l'autrice raconte également comment son équipe, composée de scientifiques, de conservateurs et de bibliothécaires, teste les livres réputés anthropodermiques, démêle les mythes qui entourent leur création et s'interrogent sur l'éthique de leur conservation. L'autrice transforme un sujet qui pourrait être vu comme anecdotique en une passionnante enquête qui fait écho à de nombreuses questions historiques et sociétales, à commencer par le rapport problématique qu'entretient la médecine avec les classes défavorisées. En effet, nombre de ces apprentis relieurs étaient en fait des médecins, utilisant à des fins peu reluisantes les cadavres de leurs patients laissés-pour-compte. Alors que les allégations de bibliopégie anthropodermique servaient souvent à décrédibiliser des ennemis, on retrouve de nombreux exemples de livres supposément reliés en peau humaine à des périodes troubles de l'histoire, comme la guerre d'indépendance des États-Unis ou la Révolution française. Dans Les Archives de la mort - un ouvrage captivant et macabre au meilleur sens du terme - Megan Rosenbloom élabore un récit à la croisée de l'intrigue universitaire et de la curiosité médicale : un livre aussi rare et palpitant que l'est son sujet.