Comment parler de l'autre côté, se demanda Alice. Car, en fait de merveilles, elle avait découvert qu'elle était plus d'une, et qu'une seule langue ne pouvait signifier ce qui avait lieu entre elles. Il fallait pourtant essayer de se faire entendre. Alors, s'appliquant, elle reprit :
Que dire d'une sexualité féminine autre ? Autre que celle prescrite dans et par l'économie du pouvoir phallique. Autre que celle encore et toujours décrite - et normalisée - par la psychanalyse. Comment inventer, ou retrouver, son langage ?
Comment interpréter le fonctionnement social à partir de l'exploitation des corps sexués des femmes ? Que peut être, dès lors, leur action par rapport au politique? Doivent-elles ou non intervenir dans les institutions ?
Par quel biais échapper à la culture patriarcale ? Quelles questions poser à son discours ? À ses théories ? À ses sciences ? Comment les énoncer pour qu'elles ne soient pas, à nouveau, soumises à la censure ou au refoulement ?
Mais aussi : comment déjà parler femme ? En retraversant le discours dominant. En interrogeant la maîtrise des hommes. En parlant aux femmes, entre femmes.
Questions - parmi d'autres - qui s'interrogent et se répondent dans plusieurs langues, sur plusieurs tons, à plusieurs voix. Déconcertant l'uniformité d'un discours, la monotonie d'un genre, l'autocratie d'un sexe. Innombrables les désirs des femmes, et jamais réductibles à l'un ni à son multiple.
Le jour était déjà levé depuis longtemps. Une histoire n'en finissait pas d'imposer son ordre. De l'obliger à s'exposer dans une clarté un peu froide. Dans l'attente d'un autre matin, elle repassa derrière le miroir, et elle se retrouva entre elles toute(s).
Luce Irigaray
Trois essais psychanalytiques sur la face négative du complexe d'å'dipe dans la tragédie antique, élizabéthaine, classique.
Le meurtre de la mère par le fils, tel que le mettent en scène eschyle dans l'orestie, sophocle et euripide dans etectre, offre l'occasion d'une confrontation entre les trois tragiques traitant le même thème du matricide et de sa sanction. le meurtre de la femme par l'époux est vu à travers la folie jalouse d'othello, oú shakespeare dévoile, par la structure de la tragédie, le procès de la paranoïa.
Le meurtre de la fille par le père est celui du sacrifice d'iphigénie en aulide, oú racine fait, par rapport à euripide - celui de l'iphigénie à aulis et celui des bacchantes -, l'économie du sacrifice. un prologue sur la lecture psychanalytique des tragiques, fixant la ligne de cette contribution à là critique littéraire, et un épilogue oú sont examinées les relations entre le mythe d'å'dipe et la vérité qui s'y fait jour à travers les déformations qu'elle subit, encadrent ces trois essais.
Aujourd'hui.
En me proposant de publier en livre ce qui fut d'abord un article de journal, Jérôme Lindon m'a donné à réfléchir l'alliance d'un hasard et d'une nécessité. Jusqu'alors, je n'avais pas prêté une attention suffisante au fait qu'un article, L'Autre cap , visiblement assiégé parles questions du journal et du livre, de l'édition, de la presse et de la culture médiatique, avait certes été publié dans un journal (Liber, Revue européenne des livres, octobre 1990, n°5), mais dans un journal singulier qui tente d'échapper à la règle, puisqu'il est simultanément inséré, de façon inhabituelle, dans d'autres journaux européens et simultanément en quatre langues. Or, il se trouve, de façon apparemment fortuite, qu'un autre article, La Démocratie ajournée , traitant au fond de problèmes analogues, et d'abord de la presse et de l'édition, du journal, du livre et des médias (dans leur rapport à l'opinion publique, aux libertés, aux droits de l'homme, à la démocratie - et à l'Europe) avait été lui aussi publié l'année précédente dans un autre journal qui fut aussi le même, à savoir Le Monde, et encore à part, dans le supplément d'un numéro singulier : le premier numéro du Monde de la Révolution française (janvier 1989) qui parut douze fois l'année du bicentenaire. Au-delà du partage des thèmes et en raison de cette situation (un journal dans le journal mais aussi un journal comme tiré à part), j'ai donc imaginé qu'il y avait quelque sens à replacer ces deux articles tels quels, côte à côte et sous le même jour. Le jour, justement, la question ou la réflexion du jour, la résonance du mot aujourd'hui, voilà ce que ces articles de journal gardent de plus commun - à leur date, au jour d'alors. Les hypothèses et les propositions ainsi risquées s'en trouvent-elles pour autant datées aujourd'hui, au moment où les problèmes du droit, de l'opinion publique et de la communication médiatique, entre autres, connaissent l'urgence et la gravité que l'on sait ? Au lecteur d'en juger.
Aujourd'hui se trouve être le premier, non le dernier mot de La Démocratie ajournée . Il entre peut-être en correspondance avec ce qui résonne étrangement dans l'apostrophe de Paul Valéry, citée à l'ouverture de L'Autre cap et relancée de loin en loin : Qu'allez-vous faire AUJOURD'HUI .
Jacques Derrida, le 29 janvier 1991.
Les passions ont affaire avec le feu et la glace, la lumière et la nuit, l'eau et l'immersion, la terre et la découverte ou la perte du sol, la respiration dans ce qu'elle a de plus profond, de plus secrètement vivant. Palpitations entre deux amants qui invitent, rassemblent, relient et fécondent le monde en toutes ses dimensions et directions. Avant tout dire articulé en discours. Tel un chant qui cherche son rythme, tantôt large, tantôt haletant. Laissant en blanc de la chair et du souffle encore libres et vierges de toute scansion déjà marquée. Inspiration et expiration qui découvrent et inventent, ensemble, leurs mouvements, leurs mesures, leurs mélodies et harmonies. Sculptant et resculptant les bords des corps, du dehors et du dedans, dans leur singularité et leurs alliances. Modelage de l'amour qui redessine et rouvre, sans cesse, l'horizon de chair disponible. En deçà de tout regard, retour au plus subtil de tous les sens, celui qui les sous-tend tous : le tactile. Tout se donnant à travers le toucher, médiation qui, continûment, s'oublie. Surtout dans ses gestes les plus simples - les rapports à l'air, l'eau, le feu, la terre. Dont mon corps et celui de l'autre s'incarnent. Du plus intime du muqueux au plus lointain du céleste et du transcendant, du plus charnel au plus divin, tout a lieu grâce au tact. Un sol spéculatif et technique recouvrant et étouffant cette vérité devenue mystère de la vie - le toucher est ce dans quoi et à travers quoi tout se donne à nous sous peine de mort.
Le monde est saturé d'images. Ni cette saturation, pourtant, ni la marchandisation du visible n'affaiblissent l'événement que constitue parfois la rencontre avec les images : leur surgissement, d'autant plus émouvant qu'il a lieu sans tapage, est au coeur de l'entretien que nous a accordé Laurent Jenny, ainsi que de son livre Le Désir de voir, que commente Dominique Rabaté. Avec Nathalie Delbard et son Strabisme du tableau, toute une historicité du « voir » se découvre, faite de troubles et d'inquiétudes du regard ; Giovanni Careri a lu pour nous cet essai solidaire de la psychanalyse et attentif à « ce qui fait histoire dans l'art ». Anne Lafont, quant à elle, nous invite à reparcourir, catalogue en mains, la remarquable exposition conçue par Christine Barthe au musée du Quai Branly : À toi appartient le regard et (...) la liaison infinie entre les choses.
Quelle meilleure conjuration en effet, dans la prolifération vertigineuse des images, que cette expérience démultipliée du voir retracée dans ces textes, réunis par Marielle Macé ?
Spécialiste mondialement reconnue de l'histoire ouvrière mais aussi de l'histoire des femmes, Michelle Perrot a puissamment contribué à remodeler ces domaines d'étude. Ses analyses des grèves, mais aussi du rôle des femmes dans la cité, continuent d'orienter nombre de recherches ; de même ses travaux sur la prison et sur les mécanismes d'enfermement, menés en étroite liaison avec ceux de Michel Foucault. Elle a également contribué à réhabiliter l'analyse de la vie privée, de l'intime. De sa thèse, qui fit date, Les Ouvriers en grève, à Histoire de chambres, cette énergique historienne des conflits, sociaux et « genrés », s'est aussi affirmée comme une subtile analyste des tyrannies de l'intimité comme de ses frêles bonheurs.