« Je suis toujours dans le département de la Marne et je cherche la ferme de Navarin.
Les croix des cimetières convergent au loin sur le ciel vide. Des champs de croix, plusieurs champs. Ici, nous sommes presque à mi-distance de la Somme et de Verdun. Je gare la voiture le long d'un champ sous un cerisier et, après avoir à nouveau consulté la carte, je franchis des talus et coupe au court pendant que Blaise me souffle à l'oreille : "N'aie pas peur de marcher dans les ténèbres ou de glisser dans du sang. /On ne sait jamais ce que l'on fait, on ne sait jamais où l'on va. /La vie est dangereuse. »
«Elle n'est jamais la même. Je l'ai vue transparente, son toit vert suspendu dans le givre ; je l'ai vue luisante et noire et nue comme le dos d'un dauphin bondissant ; je l'ai vue poreuse, ravagée, grise de bruine, comme une série de cavernes grignotées par la mer ; je l'ai vue telle une pieuvre lumineuse, les bras prédateurs, avide et blanche de soleil ; je l'ai vue droite et pure comme une falaise à pic. Peut-être est-ce à cause de ces incessantes métamorphoses que je me suis laissé prendre.»Diane de Margerie.
«Tous ceux et celles que l'amour a saisis, et qui s'en vont transis de la pensée de l'autre, ardés par le regard de l'autre, marchent ainsi en somnanbules. Ils ont la tête ailleurs, comme on dit. Leur front est resté lové dans la chaleur et dans l'odeur du cou de l'autre, appuyé contre son épaule. Ils, elles, portent leur tête en offrande à l'aimée, à l'élu, à moins que ce ne soit la tête de l'autre qu'ils, elles, portent ainsi en très secrète et tendre procession.Oui, on a vraiment la tête ailleurs lorsqu'on est amoureux, - alors, quand c'est pour l'Éternel que l'on s'est enflammé, on a la tête infiniment ailleurs. On est un funambule, avec, en guise de balancier, son coeur en bandoulière et sa tête épanouie tel un bouquet de fleurs de mai.Tous ceux et celles que l'amour a ravis sont des céphalophores, des êtres en proie à une miraculeuse catastrophe.»Sylvie Germain.