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Le roman, publié en 1925, raconte la journée d'une femme élégante de Londres, en mêlant impressions présentes et souvenirs, personnages surgis du passé, comme un ancien amour, ou membres de sa famille et de son entourage. Ce grand monologue intérieur exprime la difficulté de relier soi et les autres, le présent et le passé, le langage et le silence, le mouvement et l'immobilité. La qualité la plus importante du livre est d'être un roman poétique, porté par la musique d'une phrase chantante et comme ailée. Les impressions y deviennent des aventures. C'est pourquoi c'est peut-être le chef-d'oeuvre de l'auteur - la plus grande romancière anglaise du XXe siècle.
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Mrs Dalloway et autres écrits
Virginia Woolf
- Gallimard
- Bibliothèque De La Pléiade
- 27 Février 2025
- 9782073098559
1925, 1928, 1929. Mrs. Dalloway, Orlando, Une pièce à soi. Un roman ; une biographie, autre forme de roman, surtout quand le personnage biographé est imaginaire ; un essai enfin, qui expose en particulier les raisons pour lesquelles la soeur de Shakespeare n'a pu écrire les pièces de son frère (ce n'est pas seulement parce qu'elle n'a pas existé), et, plus généralement, les conditions matérielles qui doivent être réunies pour qu'une femme puisse se consacrer à l'écriture.
Mrs. Dalloway et Orlando sont deux romans aussi différents que complémentaires. Le premier, que Woolf pensa longtemps intituler Les Heures, se déroule à Londres en un jour, qui est la grande journée de Clarissa Dalloway, et le dernier jour de Septimus Warren Smith. Le second, qui aurait pu s'intituler Les Siècles, court sur 350 ans, et jusqu'en Turquie. D'abord appelé à la cour d'Elizabeth Ire, un jeune aristocrate se réveille un jour femme, au siècle suivant ; à la fin du livre - en octobre 1928 -, elle est trentenaire, mariée, et elle a fait paraître «Le Chêne», un poème auquel elle - ou plutôt il puis elle - travaillait depuis 1586. «Dans chaque être humain se produit une oscillation d'un sexe à l'autre...»
Très vite, la France s'intéresse à ces romans. Louis Gillet prend prétexte d'Orlando pour consacrer à Woolf une étude dans la Revue des Deux Mondes. Il a compris à quel point la question de la création féminine lui importe, mais l'éloge a ses épines : le grand livre, selon lui, c'est Ulysse. (Woolf allait longtemps être comparée à Joyce, et plus encore à Proust, que le mari de Vita Sackville-West tenait d'ailleurs pour le plus grand des romanciers anglais.) «Orlando est un ravissant bibelot d'étagère, et jolies choses ou jolies femmes sont à leur place dans un salon.» Le hasard des dates est cruel : nous sommes en 1929, Gillet ignore encore qu'Une pièce à soi (une pièce qui n'est pas le salon) apporte une réponse cinglante à son appréciation. Mais cet essai est un manifeste littéraire aussi bien que social, et une composante essentielle de l'art poétique que Virginia Woolf construit texte après texte.
Quant à Mrs. Dalloway, elle aurait donc cent ans. On a peine à le croire. Le livre, lui, est toujours aussi neuf, ce qui n'est pas le cas de tous les romans «expérimentaux». Il est vrai qu'il ne se résume pas à l'usage virtuose d'une technique narrative, si nouvelle soit-elle. Y coexistent la vie et la mort, la raison et la folie, la durée et les instants, «le temps qui se marque sur l'horloge et le temps qui réside dans l'esprit» (Orlando).
La lumineuse préface de Gilles Philippe éclaire les ouvrages ici réunis, trois moments forts dans une période d'écriture décisive pour Virginia Woolf. Une pièce à soi entre au catalogue de la Pléiade dans une traduction inédite de Laurent Bury. -
La divine comédie
Dante Alighieri
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 14 Octobre 2021
- 9782072888748
La lecture de La Divine Comédie est un voyage. Claudel le définit à merveille : «De celle qu'il aime, Dante n'a pas accepté d'être séparé, et son oeuvre n'est qu'une espèce d'effort immense de l'intelligence et de l'imagination pour réunir ce monde de l'épreuve où il se traîne, ce monde des effets, qui, vu d'où nous sommes, semble le domaine du hasard ou d'une mécanique incompréhensible, au monde des causes et des fins.» Le lecteur n'est jamais seul au cours de son ascension. Si Dante a besoin de guides - Virgile, Béatrice, saint Bernard -, il est lui-même l'accompagnateur et le complice de qui le lit. Les expériences qu'il évoque, il considère qu'elles sont communes à tous. Il apprivoise l'imagination en l'entourant d'objets familiers. Une fois encordé au poète, et captif de sa voix, on ne peut demeurer en arrière. «On n'avait pas entendu cette voix depuis l'Antiquité latine», disait Saint-John Perse. Plus qu'un autre sans doute, le lecteur du XXI? siècle est sensible à la conscience artistique qui habite Dante, à la manière dont il invente et manie d'un même geste la langue dont il use - «un acte qui vaut pour tous les temps, celui par lequel la poésie accède à soi» (Yves Bonnefoy). Dans cette édition, publiée à l'occasion du 700? anniversaire de la mort du poète, la traduction de Jacqueline Risset, d'une limpidité sans égale, voisine avec le texte original et bénéficie d'un appareil critique nouveau qui prend appui sur sept siècles de lectures aussi bien que sur les recherches les plus récentes.
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Le blé en herbe et autres écrits
Colette, Antoine Compagnon
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 23 Février 2023
- 9782073015785
Claudine à l'école est le grand succès de mars 1900. Le livre est signé Willy. On sait généralement qu'il s'agit du pseudonyme d'Henry Gauthier-Villars, qui l'utilise pour signer les productions de l'atelier qui lui écrit ses ouvrages. Cette fois, pourtant, le texte sort du lot. Il ne ressemble à rien de connu, la langue est nouvelle, le ton insolent, le propos scandaleux. C'est qu'il n'est pas de la plume d'un des scribes habituels de Willy : il est de sa jeune femme, Sidonie-Gabrielle, née Colette. Colette : il faudra attendre 1923 et Le Blé en herbe pour que ce nom apparaisse seul sur la couverture d'un livre. Avant cela, il y aura eu d'autres «Willy», des «Colette Willy» et même des «Colette (Colette Willy)». Mais on a vite compris. Catulle Mendès écrit à Colette : «vous avez créé un type». Claudine en effet est un type, et elle deviendra un mythe. Colette en créera d'autres : celui de Sido, sa mère, «le personnage principal de toute [s]a vie» ; celui de Gigi, jeune fille élevée pour devenir une femme entretenue et qui échappe à ce destin ; et celui de Colette elle-même, qui se construit au fil de plusieurs vies - elle fut danseuse, mime, actrice, journaliste, directrice d'un institut de beauté, publicitaire... comme si la littérature ne pouvait suffire à lui assurer l'indépendance et la liberté qui sont, avec l'aptitude au plaisir, ses valeurs les plus hautes. Des tenues succinctes portées sur la scène du Moulin Rouge à la croix de grand-officier de la Légion d'honneur reçue en 1953, la ligne droite n'est pas le chemin le plus court. Mais l'oeuvre de Colette s'est nourrie de ce sinueux parcours. Colette appelle «littérature» tout ce qu'elle n'ai me pas : l'emphase, la «ciselure» et les idées générales, qui lui vont aussi mal, dit-elle, que les chapeaux empanachés. L'année du Blé en herbe, elle déclare à Simenon : «Supprimez toute la littérature, et ça ira.» «C'est le conseil qui m'a le plus servi dans ma vie», dira le romancier. C'est aussi ce qui préserve l'oeuvre de Colette du vieillissement. L'ouverture de Chéri, en 1920, a époustouflé les lecteurs. Cent ans plus tard, on l'admire toujours. Mais le style ne serait rien s'il n'était au service d'un regard d'une extraordinaire sensibilité. Colette, nous dit Antoine Compagnon, rend présents «le monde de l'enfance, l'étoffe de la sensation, l'émotion de la mémoire». On la crédite aussi d'avoir été «la première femme qui ait vraiment écrit en femme» (A. Maurois), la première à explorer ainsi les amours adolescentes (Le Blé en herbe), à entretenir une réelle connivence avec la nature et «les bêtes», à poser ce qu'on appellera la question du «genre» (dans Le Pur et l'Impur, en 1941), etc. Mais ce sont ces trois domaines - l'enfance, la sensation, la mémoire - qu'il faut retenir si l'on veut lui rendre justice. Elle les partage avec Proust, dont elle admira
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Shirley - Villette (1849-1853)
Charlotte Brontë
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 22 Septembre 2022
- 9782070114962
L'immense succès de Jane Eyre (1847) fait de Charlotte Brontë une romancière reconnue. L'élaboration de son nouveau roman sera douloureuse : en l'espace de huit mois, Branwell, Emily et Anne disparaissent, faisant d'elle la seule survivante d'une exceptionnelle fratrie d'écrivains. Shirley paraît en 1849. En toile de fond, la lutte des ouvriers du textile contre la mécanisation. Au premier plan, deux héroïnes se disputant l'attention de Robert Moore : une héritière cultivée et fougueuse, et une orpheline douce et timide ; la première est inspirée d'Emily, la seconde d'Anne. L'ouvrage voit resurgir les héros des oeuvres de jeunesse (Napoléon, Nelson, Wellington), oeuvres dont on ne dira jamais assez l'importance. Il propose de magnifiques portraits de femmes cherchant leur place dans une Angleterre patriarcale.Pour Villette, qui suit en 1853, Charlotte fait appel aux souvenirs de son séjour à Bruxelles en 1842-1843. Élève puis professeur dans un pensionnat, elle avait été séduite (intellectuellement) par Constantin Heger, qui donnait des cours de rhétorique dans l'établissement tenu par son épouse. Elle transpose cette expérience dans le personnage de Lucy Snowe, qui s'éprend d'un confrère revêche. Certains contemporains ont jugé «pervers» l'humour de la romancière, mais le ton caustique et l'extraordinaire vivacité de la langue font aujourd'hui le charme du livre, où se mêlent réalisme et gothique - un gothique d'artifice, décalé. Aussi important que méconnu, Villette, qui fait la part belle aux non-dits et aux ellipses, et dont le dénouement est laissé à l'interprétation du lecteur, est un grand livre à la modernité troublante.
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Oeuvres complètes, Tome 1
Marguerite Duras
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 20 Octobre 2011
- 9782070118892
Marguerite Duras, qui fut une légende vivante, s'incarne pour beaucoup dans un livre particulier : souvent Un barrage contre le Pacifique (1950) ou L'Amant (1984), parfois Le Ravissement de Lol V. Stein (1964), ou encore dans un film et sa mélodie, India Song (1973). Plus rares sont les lecteurs qui se représentent l'oeuvre dans sa continuité souterraine. À travers la diversité des genres - romans, nouvelles, théâtre, scénarios, films -, Duras n'a jamais cessé d'explorer l'écriture elle-même. Car c'est précisément la recherche d'une voix qui lui fût propre qui l'a amenée à composer pour le théâtre (où le langage «a lieu») comme à prendre la caméra : «Je parle de l'écrit même quand j'ai l'air de parler du cinéma. Je ne sais pas parler d'autre chose.» Bien sûr, l'expérience de l'écriture dramatique ou cinématographique influence l'écriture romanesque, et certains sujets passent d'un genre ou d'un support à un autre, mais il y a plus : peu à peu se fait jour un style reposant...
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Middlemarch / le moulin sur la Floss
George Eliot
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 10 Septembre 2020
- 9782072789335
Middlemarch (1871-1872) est le plus grand roman victorien, et aux yeux de certains le meilleur roman de langue anglaise, toutes époques confondues. Quête de la vérité menée de plusieurs points de vue, le livre ne saurait être réduit au destin de Dorothea Brooke, jeune fille altruiste et utopiste qui épouse un érudit desséché. Autour du couple gravitent de nombreux personnages, assujettis à des liens familiaux, conjugaux, de voisinage, d'intérêts. George Eliot entrelace les destins individuels, ménage des rebondissements dignes d'un feuilleton, sans jamais céder à la facilité : sa peinture psychologique est de la plus grande finesse lorsqu'elle décrit les désirs et les tragédies de ceux dont les vies s'entremêlent sur la trame d'une même étoffe. Son acuité peut se parer d'ironie, sans que jamais s'étiole la sympathie qu'elle éprouve pour ses créatures confrontées à la défaite de leurs aspirations. Les événements se déroulent dans l'Angleterre provinciale des années 1830, mais ce «plaidoyer pour la beauté des vies ordinaires» (Mona Ozouf) a pour sujet les passions humaines, qui sont sans âge.
Middlemarch est ici précédé du chef-d'oeuvre de la première période de George Eliot, Le Moulin sur la Floss (1860). Eliot, née Mary Anne Evans, a mis beaucoup d'elle-même dans le personnage de Maggie Tulliver, petite fille turbulente à la nature exaltée, passionnée par les livres, «aussi affamée de savoir qu'elle l'est d'amour» (M. Ozouf). Proust avouait avoir pleuré à la lecture de ce roman du paradis perdu de l'enfance. Maggie sera victime de l'ostracisme social - comme sa créatrice, qui vécut vingt-cinq ans avec un homme qui n'était pas son mari et chercha, à travers une oeuvre littéraire liant l'intellect aux sentiments, à obtenir cette respectabilité chère aux victoriens.
À sa mort, en 1880, elle fut célébrée comme «le plus grand romancier anglais contemporain». On ne lui permit pourtant pas d'être enterrée, comme l'avait été Dickens, dans le «Coin des poètes» de l'abbaye de Westminster.
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Oeuvres romanesques
Marguerite Yourcenar
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 17 Novembre 1982
- 9782070110186
Avant-propos de l'auteur
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1839. «Le roi des romanciers modernes, c'est une femme», déclare Jules Janin, prince des critiques. Certes, il s'agit pour lui d'ôter sa couronne à Balzac, dont il n'a pas aimé Illusions perdues. Mais son admiration pour George Sand (car c'est elle, «le roi») est sincère, et partagée : par Balzac lui-même, puis par Flaubert, qui comparera son amie à un grand fleuve d'Amérique : «Énormité et Douceur.» Voilà ce que fut la romancière pour ses contemporains. On est loin de la considération réticente dont se contentera longtemps la postérité, avant que le vent ne tourne de nouveau, en faveur cette fois de l'oeuvre, soutenue par une personnalité qui rayonna sur plusieurs scènes littéraire, politique, sociale. Sand a publié plus de soixante-dix romans. Les quinze que voici ont été choisis pour leurs qualités propres et parce qu'ils illustrent ses différentes manières. Indiana, immense succès, est le premier qu'elle signe de son nom de plume. Le roman-poème de Lélia - révolte métaphysique et sexualité féminine en 1833 - fait scandale. Mauprat échappe aux qualificatifs ou les mérite tous : roman historique, familial, d'amour, d'aventures, noir, humanitaire, social... Pauline est un «roman de l'artiste», veine à laquelle appartient aussi, le diptyque constitué de Lucrezia Floriani et du Château des Désertes. Isidora surprend par sa modernité, forme et fond. Le triptyque champêtre, La Mare au Diable, François le Champi, La Petite Fadette, fait de Sand une pionnière de l'ethnographie et de l'ethnolinguistique, et de l'ethnomusicologie si l'on y ajoute Les Maîtres sonneurs. Dans Elle et lui passe l'ombre de Musset. (Pour celle de Chopin, voyez Lucrezia.) La Ville noire est un roman «industriel» à la fois réaliste et utopiste. Juste avant Voyage au centre de la Terre, Laura, voyage dans le cristal débusque le fantastique au coeur de la science. Nanon enfin récrit l'histoire de la Révolution en donnant la parole à une paysanne. «Je fais des romans, parce que c'est une manière de vivre hors de moi», dit Sand, prompte à se glisser «dans la peau de [s]es bonshommes», comme elle appelle ses personnages. L'essentiel pour elle est dans le mouvement vers l'autre, quête inquiète et patiente ; ce qu'avait bien senti Janin, qui voyait en elle l'«un de ces grands esprits plein d'inquiétudes qui cherchent leur voie». Quadriller le monde social est nécessaire, non suffisant. Si le roman est un plaidoyer (pour les femmes, contre les lois du mariage, pour la justice...), le bon roman exige que soient mêlés «le réel et le poétique». Ainsi naît le romanesque, principe de liberté : c'est l'artiste qui crée le réel, «son réel à lui». Le roman chez Sand a un effet sur «l'emploi de la vie». De lumineuses figures de femmes y mènent un combat pour l'idéal. Vaste dessein. Flaubert (comme toujours) avait raison : énormité et douceur.
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Oeuvres romanesques Tome 1
Virginia Woolf
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 17 Avril 2012
- 9782070114825
Cette édition propose, dans des traductions pour la plupart nouvelles, tous les livres de fiction publiés par Woolf ou, pour Entre les actes, au lendemain de sa mort : dix romans, et un recueil de nouvelles, Lundi ou mardi, qui n'avait jamais été traduit dans notre langue en l'état. S'y ajoutent les nouvelles publiées par l'auteur mais jamais rassemblées par elle, ainsi qu'un large choix de nouvelles demeurées inédites de son vivant. Les nouvelles éparses qui présentent un lien génétique ou thématique avec un roman sont réunies dans une section Autour placée à la suite de ce roman. On trouvera ainsi, Autour de «Mrs. Dalloway», un ensemble de textes dans lequel Woolf voyait «un couloir menant de Mrs. Dalloway à un nouveau livre» ; ce «nouveau livre» sera un nouveau chef-d'oeuvre, Vers le Phare.
Romans et nouvelles, donc, mais ces termes ne s'emploient ici que par convention. Woolf en avait conscience : «Je crois bien que je vais inventer un nouveau nom pour mes livres, pour remplacer «roman». Un nouveau ... de Virginia Woolf. Mais quoi? Élégie?» L'élégie, qui a partie liée avec la mort, est une forme poétique, et le roman, chez Woolf, emprunte en effet à la poésie («Il aura une part de l'exaltation de la poésie»), aussi bien qu'à l'essai et au théâtre («Il sera dramatique»), jusqu'à un certain point («mais ce ne sera pas du théâtre»). Play-poem, «poème dramatique», qualifiera Les Vagues ; essay-novel, «roman-essai», désigne Les Années ; Flush et Orlando partagent la même indication de genre: a Biography, ce qui ne dit à peu près rien de ces deux livres, mais confirme qu'il faut ici renoncer aux catégories reçues et, plus largement, considérer d'un oeil neuf tout ce qui semblait définir le romanesque: «Le récit peut-être vacillera; l'intrigue peut-être s'écroulera; les personnages peut-être s'effondreront. Il sera peut-être nécessaire d'élargir l'idée que nous nous faisons du roman.» Élargir : rompre avec la continuité chronologique, en finir avec l'hégémonie de la représentation, faire du vécu subjectif de la conscience la véritable matière du roman. Woolf le reconnaissait, elle n'avait pas le don de la réalité: «J'immatérialise le propos...» Il s'agissait moins pour elle de bâtir des intrigues que d'isoler des «moments d'être», déchirures éclairantes dans l'obscur tissu d'une existence, témoignant «qu'une chose réelle existe derrière les apparences». «Je rends [cette chose] réelle en la mettant dans des mots. Ce sont mes mots et eux seuls qui lui donnent son intégrité; et cette intégrité signifie qu'elle a perdu le pouvoir de me faire souffrir.»
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1839. «Le roi des romanciers modernes, c'est une femme», déclare Jules Janin, prince des critiques. Certes, il s'agit pour lui d'ôter sa couronne à Balzac, dont il n'a pas aimé Illusions perdues. Mais son admiration pour George Sand (car c'est elle, «le roi») est sincère, et partagée : par Balzac lui-même, puis par Flaubert, qui comparera son amie à un grand fleuve d'Amérique : «Énormité et Douceur.» Voilà ce que fut la romancière pour ses contemporains. On est loin de la considération réticente dont se contentera longtemps la postérité, avant que le vent ne tourne de nouveau, en faveur cette fois de l'oeuvre, soutenue par une personnalité qui rayonna sur plusieurs scènes littéraire, politique, sociale. Sand a publié plus de soixante-dix romans. Les quinze que voici ont été choisis pour leurs qualités propres et parce qu'ils illustrent ses différentes manières. Indiana, immense succès, est le premier qu'elle signe de son nom de plume. Le roman-poème de Lélia - révolte métaphysique et sexualité féminine en 1833 - fait scandale. Mauprat échappe aux qualificatifs ou les mérite tous : roman historique, familial, d'amour, d'aventures, noir, humanitaire, social... Pauline est un «roman de l'artiste», veine à laquelle appartient aussi, le diptyque constitué de Lucrezia Floriani et du Château des Désertes. Isidora surprend par sa modernité, forme et fond. Le triptyque champêtre, La Mare au Diable, François le Champi, La Petite Fadette, fait de Sand une pionnière de l'ethnographie et de l'ethnolinguistique, et de l'ethnomusicologie si l'on y ajoute Les Maîtres sonneurs. Dans Elle et lui passe l'ombre de Musset. (Pour celle de Chopin, voyez Lucrezia.) La Ville noire est un roman «industriel» à la fois réaliste et utopiste. Juste avant Voyage au centre de la Terre, Laura, voyage dans le cristal débusque le fantastique au coeur de la science. Nanon enfin récrit l'histoire de la Révolution en donnant la parole à une paysanne. «Je fais des romans, parce que c'est une manière de vivre hors de moi», dit Sand, prompte à se glisser «dans la peau de [s]es bonshommes», comme elle appelle ses personnages. L'essentiel pour elle est dans le mouvement vers l'autre, quête inquiète et patiente ; ce qu'avait bien senti Janin, qui voyait en elle l'«un de ces grands esprits plein d'inquiétudes qui cherchent leur voie». Quadriller le monde social est nécessaire, non suffisant. Si le roman est un plaidoyer (pour les femmes, contre les lois du mariage, pour la justice...), le bon roman exige que soient mêlés «le réel et le poétique». Ainsi naît le romanesque, principe de liberté : c'est l'artiste qui crée le réel, «son réel à lui». Le roman chez Sand a un effet sur «l'emploi de la vie». De lumineuses figures de femmes y mènent un combat pour l'idéal. Vaste dessein. Flaubert (comme toujours) avait raison : énormité et douceur.
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Oeuvres romanesques complètes Tome 1
Jane Austen
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 4 Octobre 2000
- 9782070113231
Jane Austen est aujourd'hui célèbre, en France comme ailleurs - même si, en France, on lit souvent ses oeuvres dans des versions qui sont des adaptations plutôt que des traductions. Face aux débordements sentimentaux des romans qu'affectionne son époque (et auxquels on assimile un peu trop légèrement les siens), elle se veut l'écrivain de la raison et cherche à prémunir le lecteur contre les errements d'un coeur livré à la seule pente de l'égoïsme. À ses portraits nuancés, elle ne donne pas pour fond les paysages tourmentés de romans gothiques (tournés en dérision dans L'Abbaye de Northanger), mais ceux, apparemment plus paisibles, d'une campagne anglaise qu'elle connaît de l'intérieur et dont elle révèle l'arrière-scène : ce monde de la bonne société rurale, où les jeunes filles doivent apprendre à diriger leurs sentiments pour atteindre au bonheur rêvé. Le choix d'un prétendant, les étapes menant au mariage forment l'intrigue principale de ses romans : l'occasion pour son regard aiguisé de mettre au jour bien des vérités - dans une langue d'une extraordinaire précision, que la présente traduction s'efforce de respecter dans tous ses détails.
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«Miss Grey était une étrange créature ; jamais elle ne flattait et elle était loin de leur faire assez de compliments ; mais, quand elle parlait d'elles ou de quoi que ce fût qui les concernât en termes élogieux, elles pouvaient avoir la certitude que sa bonne opinion était sincère. Elle se montrait dans l'ensemble très prévenante, discrète et pacifique, mais certaines choses la mettaient hors d'elle ; certes, cela ne les gênait guère, mais pourtant mieux valait ne pas la désaccorder puisque, lorsqu'elle était de bonne humeur, elle leur parlait, était fort agréable et pouvait parfois se montrer extrêmement drôle, à sa manière, qui était bien différente de celle de Mère, mais faisait toutefois très bien l'affaire pour changer. Elle avait des opinions arrêtées sur tout, auxquelles elle restait farouchement attachée... Des opinions souvent rebutantes, puisqu'elle pensait toujours en termes de bien et de mal et avait une curieuse révérence pour ce qui touchait à la religion et un pendant incompréhensible pour les honnêtes gens.»
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Wuthering heights et autres romans (1847-1848)
Emily Brontë
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 11 Septembre 2002
- 9782070114948
En leur temps, les romans de Charlotte, Emily et Anne Brontë ont choqué le public et révolutionné le genre romanesque anglais. Un siècle et demi après la mort des Brontë, il y avait place pour une édition réunissant un ensemble de textes qui, sans prétendre constituer des oeuvres complètes, offre au lecteur français, dans une traduction nouvelle, l'intégralité des grands textes et un choix représentatif des écrits de jeunesse. Le présent volume (l'édition en comptera trois) comprend les premiers romans rédigés à l'âge adulte par chacune des trois soeurs : Wuthering Heights, d'Emily, Agnes Grey, d'Anne, et Le Professeur, de Charlotte. Ces trois romans furent proposés conjointement pendant plus d'un an à divers éditeurs. C'est en quelque sorte ce «manuscrit» originel que nous reconstituons ici, pour la première fois, car seuls les romans d'Emily et d'Anne seront publiés en décembre 1847, Le Professeur paraissant posthume dix ans plus tard. À ces trois oeuvres vient s'ajouter le second roman d'Anne, La Locataire de Wildfell Hall, souvent considéré comme une réponse à Wuthering Heights.
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Colette entre dans la Pléiade. L'édition, qui comprendra quatre volumes, offrira non seulement la plupart des romans et des nouvelles, mais aussi les essais principaux, les souvenirs, les dialogues de bêtes. On a tenu aussi à reprendre en appendices des pages publiées par
Colette dans des journaux et des revues et qu'elle n'avait pas cru bon de rassembler dans ses Oeuvres complètes, au Fleuron.
Textes mineurs, certes, mais qui jettent parfois un singulier éclairage sur le roman ou la nouvelle. Si nous nous sommes tout d'abord particulièrement attaché à procurer un texte sûr - très souvent en effet de graves fautes étaient venues le corrompre au cours des réimpressions -, nous avons surtout tenté de comprendre - et d'expliquer - comment le roman, ou la nouvelle, était né. Une notice propre à chacun des textes en retrace la genèse et s'efforce de retrouver le monde dans lequel ces pages ont été écrites. Claudine à l'école parut en 1900, quelques jours avant l'inauguration de l'Exposition universelle de Paris. Ce monde-là appartient au passé ; aussi nous a-t-il fallu le faire revivre en éclairant de nombreuses allusions aux moeurs et aux personnes - dont certaines sont devenues des personnages de l'oeuvre - disparues. On a pu parfois disposer des manuscrits. C'est donc la première fois que le lecteur pourra mesurer le travail de Colette et, pour trois de ses romans, la part que Willy avait prise ou voulu prendre. Le tome I contient les oeuvres qui vont de la première Claudine à La Vagabonde. Les tomes II, III et IV présenteront les oeuvres dans l'ordre chronologique de publication. Pour chacun des tomes, une préface qui retracera la période retenue, une chronologie et une bibliographie détaillée viendront compléter l'ensemble de l'appareil critique. -
Oeuvres romanesques Tome 2
Virginia Woolf
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 23 Avril 2012
- 9782070132249
Cette édition propose, dans des traductions pour la plupart nouvelles, tous les livres de fiction publiés par Woolf ou, pour Entre les actes, au lendemain de sa mort : dix romans, et un recueil de nouvelles, Lundi ou mardi, qui n'avait jamais été traduit dans notre langue en l'état. S'y ajoutent les nouvelles publiées par l'auteur mais jamais rassemblées par elle, ainsi qu'un large choix de nouvelles demeurées inédites de son vivant. Les nouvelles éparses qui présentent un lien génétique ou thématique avec un roman sont réunies dans une section Autour placée à la suite de ce roman. On trouvera ainsi, Autour de «Mrs. Dalloway», un ensemble de textes dans lequel Woolf voyait «un couloir menant de Mrs. Dalloway à un nouveau livre» ; ce «nouveau livre» sera un nouveau chef-d'oeuvre, Vers le Phare.
Romans et nouvelles, donc, mais ces termes ne s'emploient ici que par convention. Woolf en avait conscience : «Je crois bien que je vais inventer un nouveau nom pour mes livres, pour remplacer «roman». Un nouveau ... de Virginia Woolf. Mais quoi? Élégie?» L'élégie, qui a partie liée avec la mort, est une forme poétique, et le roman, chez Woolf, emprunte en effet à la poésie («Il aura une part de l'exaltation de la poésie»), aussi bien qu'à l'essai et au théâtre («Il sera dramatique»), jusqu'à un certain point («mais ce ne sera pas du théâtre»). Play-poem, «poème dramatique», qualifiera Les Vagues ; essay-novel, «roman-essai», désigne Les Années ; Flush et Orlando partagent la même indication de genre: a Biography, ce qui ne dit à peu près rien de ces deux livres, mais confirme qu'il faut ici renoncer aux catégories reçues et, plus largement, considérer d'un oeil neuf tout ce qui semblait définir le romanesque: «Le récit peut-être vacillera; l'intrigue peut-être s'écroulera; les personnages peut-être s'effondreront. Il sera peut-être nécessaire d'élargir l'idée que nous nous faisons du roman.» Élargir : rompre avec la continuité chronologique, en finir avec l'hégémonie de la représentation, faire du vécu subjectif de la conscience la véritable matière du roman. Woolf le reconnaissait, elle n'avait pas le don de la réalité: «J'immatérialise le propos...» Il s'agissait moins pour elle de bâtir des intrigues que d'isoler des «moments d'être», déchirures éclairantes dans l'obscur tissu d'une existence, témoignant «qu'une chose réelle existe derrière les apparences». «Je rends [cette chose] réelle en la mettant dans des mots. Ce sont mes mots et eux seuls qui lui donnent son intégrité; et cette intégrité signifie qu'elle a perdu le pouvoir de me faire souffrir.»
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Jane Eyre ; oeuvres de jeunesse 1826-1847
Emily Brontë, Anne Brontë, Charlotte Brontë
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 20 Mars 2008
- 9782070114955
Tous les enfants inventent des histoires, et l'on sait le sérieux qu'ils mettent à leurs jeux. Plus rares sont ceux qui transforment les mondes imaginaires nés de ces jeux en univers littéraires patiemment élaborés. Et si cette élaboration est le fait de tous les membres d'une fratrie, il n'y a pas d'erreur possible : il s'agit des Brontë.
Depuis la mort de leur mère et de leurs soeurs aînées, Charlotte, Branwell, Emily et Anne sont cloîtrés au presbytère de Haworth. Seule fenêtre sur l'extérieur, la lecture : la Bible, les classiques, les journaux que reçoit leur père. Le jour où le révérend Brontë offre des soldats de bois à son fils, l'imagination des enfants se met en branle ; chacun s'empare d'un soldat, lui donne l'identité d'un héros (Wellington, Napoléon...), le proclame souverain d'une île. Puis les îles cédent la place à la confédération de Glasstown, qui deviendra Verdopolis, et au royaume d'Angria, sorte d'Afrique rêvée dont Charlotte et Branwell rédigent en alternance la chronique, en vers et en prose. Emily et Anne se consacrent à un autre monde, celui de Gondal et de Gaaldine, dont les seuls vestiges sont des poèmes. Les premiers textes des jeunes écrivains, âgés de dix à quatorze ans, sont marqués par les contes de fées et Les Mille et Une Nuits. Avec l'adolescence, après de nouvelles lectures (Byron, Scott) et sous l'influence de l'actualité, aventures épiques, guerres, intrigues politiques et amoureuses prennent le dessus.
C'est à vingt-trois ans que Charlotte fait, en une page admirable, ses adieux au monde d'Angria. Mais il transparaît encore dans Jane Eyre, écrit sept ans plus tard. Sitôt paru, le roman passe pour « un livre à faire galoper le pouls et battre le coeur et faire venir les larmes aux yeux » ; Thackeray, l'auteur de La Foire aux vanités, annonce qu'il est l'un des pleureurs. Le succès est immense. Charlotte voulait-elle montrer qu'une héroïne peut être attirante sans être belle ? Jane Eyre, c'est en quelque sorte le vilain petit canard réfugié chez Barbe-Bleue, avec lequel le sombre et séduisant Mr. Rochester a plus d'un point commun. La métamorphose de cette jeune femme passionnée, tiraillée entre les conventions victoriennes et son désir d'être l'égale de l'homme qu'elle aime, est le sujet du livre.
Outre une nouvelle traduction de Jane Eyre, ce volume propose un large choix d'écrits de jeunesse inédits en français. Le recueil de poèmes édité par les trois soeurs en 1846 est traduit pour la première fois dans son intégralité. Le talent de Branwell, longtemps éclipsé, se révèle au travers de la prose et des vers des juvenilia, et des poèmes parus de son vivant dans la presse du Yorkshire.
JANE EYRE précédé d'OEUVRES DE JEUNESSE (1826-1847) [2008]. Ce volume contient : Récits et poèmes (1826-1839) de Charlotte et Patrick Branwell Brontë ; Poèmes (1837-1848) d'Emily Brontë ; Alexander et Zenobia (1837) d'Anne Brontë ; Poèmes publiés (1841-1847) de Patrick Branwell Brontë ; Poèmes (1846) de Charlotte, Emily et Anne Brontë, et Jane Eyre (1847) de Charlotte Brontë.
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Oeuvres complètes, Tome 2
Marguerite Duras
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 20 Octobre 2011
- 9782070122325
Marguerite Duras, qui fut une légende vivante, s'incarne pour beaucoup dans un livre particulier : souvent Un barrage contre le Pacifique (1950) ou L'Amant (1984), parfois Le Ravissement de Lol V. Stein (1964), ou encore dans un film et sa mélodie, India Song (1973). Plus rares sont les lecteurs qui se représentent l'oeuvre dans sa continuité souterraine. À travers la diversité des genres - romans, nouvelles, théâtre, scénarios, films -, Duras n'a jamais cessé d'explorer l'écriture elle-même. Car c'est précisément la recherche d'une voix qui lui fût propre qui l'a amenée à composer pour le théâtre (où le langage «a lieu») comme à prendre la caméra : «Je parle de l'écrit même quand j'ai l'air de parler du cinéma. Je ne sais pas parler d'autre chose.» Bien sûr, l'expérience de l'écriture dramatique ou cinématographique influence l'écriture romanesque, et certains sujets passent d'un genre ou d'un support à un autre, mais il y a plus : peu à peu se fait jour un style reposant sur la porosité des genres. Sur la couverture d'India Song se lit une triple mention, «texte théâtre film»...
Sa voix propre, Duras ne l'a pas trouvée d'emblée, et le mystère de sa découverte est l'un des charmes d'une lecture chronologique de son oeuvre. Ses deux premiers romans respirent l'air «existentialiste» de l'époque. Les trois suivants - Un barrage contre le Pacifique (1950), Le Marin de Gibraltar (1952), Les Petits Chevaux de Tarquinia (1953) - s'inscrivent dans l'«âge du roman américain». Puis, peu à peu, le romanesque narratif s'efface, les personnages s'estompent ou s'affinent - au point de se réduire bientôt, dans la nouvelle «Les Chantiers» (et plus tard dans Détruire dit-elle), à des séries d'états d'âme presque anonymes, voire à un étrange statut de regard regardé. L'évolution, toutefois, n'est pas linéaire : la tendance à la déréalisation du réel et au primat de la parole dialoguée ou soliloquée était marquée dès L'Après-midi de monsieur Andesmas (1962), mais les personnages du Vice-consul (1966) prennent corps dans la chaleur moite d'un décor indien quasi baroque.
Les deux premiers volumes des oeuvres complètes, enrichis de nombreux textes et documents rares, retracent l'histoire d'une écriture et, par le biais d'épisodes ou de personnages récurrents (dont certains deviendront de véritables mythes littéraires), mettent en place les «cycles», informels et poreux, qui traverseront toute l'oeuvre : l'Indochine de l'enfance, l'Inde du fantasme.
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Germaine de Staël a pour père Jacques Necker, ministre de Louis XVI, et pour mère Suzanne Curchod, qui tient un salon dont Diderot et Buffon sont les habitués. Elle accède dès son plus jeune âge au monde des Lettres, à celui des idées, au «monde» tout court. «Condamnée à la célébrité sans pouvoir être connue», elle entend être jugée sur ses écrits. Son premier ouvrage significatif est consacré à Rousseau. Elle est d'une certaine manière la fille des Lumières et de la Révolution. Elle deviendra, de son vivant, la femme la plus célèbre d'Europe.
La destinée des femmes - en particulier la question de leur liberté - est au coeur de son oeuvre. Au tournant du siècle (1800), on lit dans De la littérature que l'ordre social est «tout entier armé contre une femme qui veut s'élever à la hauteur de la réputation des hommes». Cela se vérifiera. Le livre, ambitieux, se propose de «caractériser l'esprit général de chaque littérature dans ses rapports avec la religion, les moeurs et le gouvernement». La seconde partie est consacrée à «l'état actuel des Lumières en France». Le Premier Consul préfère entendre parler du siècle de Louis XIV. Il n'aura de cesse d'éloigner Staël et de l'empêcher de (lui) nuire.
Elle met en pratique ses idées sur le roman avec Delphine (1802), que l'on citera, avec La Nouvelle Héloïse et Werther, parmi les modèles du roman moderne. La forme épistolaire rassure le public, mais le texte est un véritable terrain d'exploration psychologique. L'héroïne appartient à la même génération que l'auteur, partage ses espérances, doit comme elle faire son deuil de la société idéale à laquelle elle aspirait. L'amour est peut-être le «seul sentiment qui puisse dédommager les femmes des peines que la nature et la société leur impose», mais que valent les sentiments face à l'opinion publique? Comme Staël, comme bientôt Corinne, Delphine détonne dans une société qui préfère l'hypocrisie à l'enthousiasme. Le livre connaît un immense succès. La manière dont il aborde les questions politiques et sociales - émigration, religion, divorce - n'a rien pour plaire en haut lieu. Trop anticatholique, trop anglophile, trop révolutionnaire : Germaine de Staël devra désormais se tenir à plus de quarante lieues de Paris.
Elle va se consoler en Allemagne, découvre l'appel de l'Italie, publie en 1807 son second roman, Corinne ou l'Italie. Corinne, une poétesse anglo-italienne, ne se conforme pas au modèle féminin en vigueur dans la société. Éperdument amoureuse d'Oswald, un Écossais mélancolique assujetti aux lois patriarcales, elle lui sacrifie ses talents littéraires. D'aucuns verront dans cette tragédie d'une artiste géniale et insoumise, mais victime de l'amour, un autoportrait déguisé de la romancière, dont Benjamin Constant, qui savait de quoi il parlait, disait qu'elle avait un «esprit d'homme, avec le désir d'être aimée comme une femme».
Édition de Catriona Seth avec la collaboration de Valérie Cossy.
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Oeuvres complètes, Tome 4
Marguerite Duras
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 13 Mai 2014
- 9782070122301
Au sommaire des Oeuvres complètes de Marguerite Duras figurent l'intégralité des livres publiés du vivant de l'écrivain et de nombreux textes ou documents peu accessibles, voire inédits. Les deux premiers volumes menaient le lecteur jusqu'en 1973, l'année d'India Song. Les tomes suivants couvrent chacun une décennie : 1974-1984 pour le troisième volume, 1985-1995 pour le quatrième. La décennie 1985-1995 (tome IV) est d'une certaine manière celle de la «réécriture». Certes, Emily L. est un texte entièrement nouveau. Mais Duras revient souvent sur ses propres pas : en 1986, Les Yeux bleus cheveux noirs «récrit» La Maladie de la mort (1982) ; en 1990, La Pluie d'été «récrit» un livre pour enfants paru en 1971 ; en 1991, L'Amant de la Chine du Nord est en quelque sorte une nouvelle version de L'Amant... et le quatrième livre tiré de l'expérience indochinoise de l'auteur. L'oeuvre semble alors former une boucle, sentiment renforcé par la tonalité testamentaire de certains ouvrages (Écrire, 1993), mais aussi par le retour opéré par Duras sur quelques-uns de ses textes les plus anciens. En 1985, La Douleur reprend des pages écrites dès le lendemain de la guerre. En 1990, à l'occasion de la rédaction de Yann Andréa Steiner (1992), l'écrivain revient au manuscrit de Théodora, un roman des années 1940, inachevé et resté inédit ; on en trouvera en appendice les passages les plus aboutis. L'édition se clôt sur des «Textes épars» : jamais recueillis par leur auteur, ces articles ont été rassemblés ici en raison de leur intérêt propre ou parce qu'ils font écho à de grands thèmes de l'oeuvre. Certains d'entre eux jouèrent un rôle dans la manière dont Marguerite Duras fut et demeure perçue : non seulement comme un écrivain, mais comme un «personnage», une légende, presque un mythe.
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Oeuvres romanesques complètes Tome 2
Jane Austen
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 17 Octobre 2013
- 9782070113811
Il y a une façon d'évoquer Jane Austen qui pourrait la faire passer pour ce qu'elle n'est pas : une donneuse de leçons. Fille d'un pasteur de province, elle se veut l'écrivain de la raison face aux débordements sentimentaux des auteurs de son temps (Samuel Richardson, Fanny Burney), et cherche à prémunir le lecteur contre les errements du coeur glissant sur la pente de l'égoïsme. À ses portraits tout en nuances, elle ne donne pas pour fond les paysages tourmentés des romans gothiques d'une Ann Radcliffe, mais ceux, apparemment plus paisibles, d'une campagne anglaise dont elle révèle l'arrière-scène : ce monde où les jeunes filles doivent apprendre à diriger leurs sentiments pour atteindre au bonheur rêvé.
Pourtant, ses romans ne sont pas des contes de fées déguisés où l'héroïne finit par épouser le parfait gentleman. Les changements psychologiques subtils et progressifs vécus par les protagonistes contribuent sans doute au plaisir de la lecture, mais ils passent après la joie que procure l'ironie dont Austen fait preuve à l'égard de ses créatures. Douée d'un génie comique certain, celle «qui écrit en cachette derrière une porte grinçante» est, pour Virginia Woolf, l'«un des auteurs les plus constamment satiriques» de son époque. En prenant pour cibles les comportements égoïstes et les petites lâchetés de ses semblables, elle pointe ce que la nature humaine peut avoir de mesquin, de pathétique, de loufoque et d'affligeant.
Les héroïnes elles-mêmes n'échappent pas aux critiques de leur créatrice. Fanny Price est timorée, Anne Elliot influençable, et Emma Woodhouse, qui n'est ni l'une ni l'autre, n'inspirerait pas la sympathie, si Jane Austen n'avait l'art de rendre attachants jusqu'aux défauts qu'elle moque. Ce tour de force, une sensibilité rare et l'audace discrète de son style sont les secrets de son extraordinaire popularité.
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Oeuvres complètes, Tome 3
Marguerite Duras
- Gallimard
- Bibliotheque De La Pleiade
- 13 Mai 2014
- 9782070122295
Au sommaire des Oeuvres complètes de Marguerite Duras figurent l'intégralité des livres publiés du vivant de l'écrivain et de nombreux textes ou documents peu accessibles, voire inédits. Les deux premiers volumes menaient le lecteur jusqu'en 1973, l'année d'India Song. Les tomes suivants couvrent chacun une décennie : 1974-1984 pour le troisième volume, 1985-1995 pour le quatrième. Les livres que Duras publie entre sa soixantième et sa soixante-dixième année (tome III) sont souvent brefs, à moins qu'ils ne prennent, comme Outside et Les Yeux verts, la forme de recueils. Ils marquent un désir de renouvellement, et tous ne touchent pas immédiatement le public, mais il est aujourd'hui évident que Le Navire Night, L'Été 80, Savannah Bay ou La Maladie de la mort sont des jalons majeurs de l'oeuvre. En 1984, enfin, L'Amant connaît un triomphe critique et commercial inouï. Le statut littéraire et public de Duras bascule. Les années 1974-1984 sont aussi une «décennie cinématographique». Les films - Le Camion, Baxter, Véra Baxter, Le Navire Night, les deux Aurélia Steiner, etc. - dialoguent avec les livres qui leur correspondent et infléchissent notre façon de lire Duras. Les scénarios et autres tentatives d'adaptation figurent donc en bonne place parmi les textes réunis «autour des oeuvres».
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Le tome I commençait avec le siècle (Claudine à l'école, paru en 1900) et s'achevait avec La Vagabonde (1910), qui prouvait qu'après des années tumultueuses Colette Willy était déjà simplement Colette. Ces années tumultueuses, qui l'ont vue sur les
planches aussi souvent qu'à son écritoire, le tome II en offre des reflets avec L'Envers du music-hall et L'Entrave, suite de La Vagabonde. Mais il s'ouvre sur ce qui a été une constante chez Colette : l'intérêt passionné porté aux animaux. Ces textes animaliers sont groupés depuis Les Dialogues de bêtes de 1904, le premier livre qu'elle n'ait pas été obligée de signer Willy, jusqu'à des portraits et observations qui appartiennent aux années 1930. Le tome II est en partie consacré à l'activité du grand journaliste qu'elle a été, notamment au Matin et à Excelsior. Elle a
elle-même recueilli ses articles, écrits avant, pendant et après la Première Guerre mondiale, dans Les Heures longues, Dans la foule, La Chambre éclairée. De ses «Impressions d'Italie» on a retrouvé la première version, d'étonnant primesaut, qui avait été maladroitement incorporée dans le tardif Journal intermittent. Le volume contient ensuite et enfin les grandes oeuvres de la maturité (1920-1923) : Chéri, La Maison de Claudine, Le Voyage égoïste, Le Blé en herbe. Deux des romans qui assurent sa gloire. Les premiers souvenirs d'une femme qui a cinquante ans en 1923, des poèmes en prose, essais et croquis, éclairés par les commentaires ou même - c'est le cas de Chéri - par les éléments d'un dossier qui suit ce projet depuis sa première conception, antérieure à 1914, jusqu'à la pièce reprise triomphalement en 1982. Et chaque fois qu'il a été possible on a recouru aux manuscrits pour que le lecteur puisse participer à la création. Chacun des quatre tomes dont se composent ces Oeuvres de Colette est précédé d'une préface qui retrace la vie de l'écrivain pendant la période définie, d'une chronologie et d'une bibliographie détaillée, qui complètent l'ensemble de l'appareil
critique.