Christine de Pizan, née en 1364 à Venise et morte en 1430 à Poissy, a connu de son vivant une très grande renommée et a occupé une place majeure dans la vie intellectuelle et les débats d'idées de son temps. Poète certes, elle écrit aussi avec une autorité reconnue dans les domaines politiques, historiques, philosophiques et est généralement considérée comme la première femme ayant vécu de sa plume.
Cependant son oeuvre tombe dans l'oubli après la Renaissance et il faut attendre le XXe siècle pour qu'on la relise, regain d'intérêt qui est l'oeuvre de féministes qui voient en elle, souvent à juste titre , une pionnière de leur cause. Elle s'est par exemple opposée vivement à Jean de Meung et à la misogynie du Roman de la rose. Il est temps de relire et redécouvrir une oeuvre dont Jacques Roubaud considère qu'elle atteint un sommet dans l'art de la ballade. C'est Jacqueline Cerquiglini-Toulet qui présente ici, avec enthousiasme et empathie, les fameuses ballades accompagnées d'une traduction en français moderne. Cette parution est autant un événement littéraire qu'une justice rendue.
Comme l'annonce d'emblée sa traductrice et préfacière:«On n'en finit jamais de découvrir Ingeborg Bachmann». L'une des raisons est qu'elle a laissé derrière elle, du fait de sa mort accidentelle en 1973 à Rome, des centaines de pages inédites. Cette anthologie de son oeuvre poétique a pour but de la révéler plus intimement, dans la vérité et l'acuité de sa démarche. La présente édition n'a d'ailleurs pas d'équivalent, même en pays germanique:elle présente l'oeuvre lyrique dans sa continuité, des premiers poèmes composés par la jeune fille de seize ou dix-huit ans, inédits en français, et pour un certain nombre en allemand aussi, aux esquisses tardives, écrites jusqu'en 1967, mais publiées seulement en 2000 à titre posthume. Le choix qui s'exprime dans ce livre (dont l'intitulé reprend l'un des vers d'Ingeborg Bachmann) tend à mettre en lumière la constance d'une quête, c'est-à-dire la précocité et la persistance de thématiques qui ne cessent de transparaître à travers la pluralité des formes et des genres, dans la réécriture de la tradition et dans sa déconstruction, dans la recherche surtout d'une nouvelle «logique» et de nouvelles manières de pensée et d'être. L'ombre, l'obscur, l'angoisse, l'expérience quasi originelle des ténèbres, mais également un vif appétit de vie, allié à une soif de lumière et d'amour, hantent toutes ces pages, parfois jusqu'à l'obsession. Avec la conscience aiguë qu'une vocation de poète, s'il lui arrive d'avoir parfois l'oreille des dieux, ne peut échapper à une certaine malédiction, et se doit de payer un tribut aux morts.
Empreinte de l'expérience personnelle de son auteur, l'oeuvre de Chimamanda Ngozi Adichie jette un pont entre les hommes et les femmes, entre les parents et les enfants, entre l'Afrique et les États-Unis... De Melania Trump, réincarnant Mrs Dalloway, aux femmes nigérianes à qui l'on fait miroiter qu'une vie meilleure les attend en Amérique, ces récits mettent en scène leurs espoirs et leurs désillusions, accompagnés du silence angoissé qui fait taire la dure réalité de leur nouvelle vie. L'auteur, en proposant une voix qui invite à considérer l'Autre autrement, permet au lecteur de s'interroger sur les prismes à travers lesquels il voit le monde - tel qu'il est et, surtout, tel qu'il n'est pas. Chacune de ces nouvelles est à la fois une histoire passionnante, vibrante d'humanité, et une véritable leçon de philosophie.
Nouvelle édition bilingue en 1999
Publié pour la première fois en 2007, puis réédité en 2017, le recueil Poèmes de la mémoire et autres mouvements est le sixième livre de Conceição Evaristo. L'autrice y révèle une sensibilité complexe, incarnée et lyrique, d'où jaillissent des souvenirs d'une mémoire à la fois atavique et érudite. Elle nous invite à une profonde réflexion sur le pouvoir de la transmission en déployant une poétique qu'elle fonde sur le concept de escrevivências - l'écriture de la vie, du vécu - concept qui fonctionne pour elle comme moyen d'expression d'une mémoire collective mise en lambeaux par des siècles d'esclavage, de racisme et de misogynie.
« La nuit ne fermera jamais les yeux dans les yeux des femelles puisque dans notre sang-femme dans notre liquide mémoire en chaque goutte qui jaillit se trouve un fil invisible et fort cousant patiemment le filet de notre résistance millénaire. » C.E.
Ce livre nous invite à une visite aussi fabuleuse que documentée de la grotte Chauvet-Pont-d'Arc, où notre espèce inscrivit un trésor, il y a 36 000 ans.
Nathalie Léger-Cresson restitue, avec la passion joyeuse de sa narratrice, la découverte du lieu où résonne la présence des premiers artistes de l'humanité. On plonge alors dans ce chaudron d'émotions, dans cet incubateur de fictions, et les descriptions à la fois précises et jubilatoires ouvrent sur des récits. Les personnages dessinent certaines figures récurrentes: trio d'une mère et de ses deux filles, jeune homme en danger de mort, couple d'amoureux... Leur récurrence à travers le temps et les jeux du langage nous fait toucher, comme rarement dans un livre, la bouleversante permanence de notre espèce.
«Lire, écouter les savants, prendre le train pour visiter la reconstitution, faire défiler les documentaires et les visites virtuelles à en avoir le tournis... quand c'est à la réalité que tant nous aspirons. Au moins, à voir vraiment de nos vrais yeux la vraie trace réelle d'une présence évanouie. Rien, rien n'y fait, notre désir est impossible à assouvir. Alors chacun s'agite, repeint sa maison, imprime des mains au plafond, s'enterre trois mois dans son jardin, ou écrit. Comme, enfant, on se construit des cabanes, j'ai bricolé ma grotte Chauvet avec les moyens du bord. En écrivant toutes les histoires et bouts de ficelles qui me poussaient de partout, tous les jours, tout le temps.» N. L.-C.
Ce texte sur la torture des femmes et leur tentative de survie dans les centres clandestins de détention de Córdoba est un acte testimonial unique, où la poésie se mêle à l'horreur pour narrer l'indicible. Une lutte contre l'oubli qui fait entendre, à travers la voix et la mémoire de l'auteure, celles de centaines de détenues réduites à jamais au silence par la dictature militaire argentine.
« Ici grand rassemblement de femmes, chuchotements de femelles, psalmodies de terre sans racines, esprits happés par ordres de gendarmes, comme roches aiguisées adhèrent à côtes, oreilles, palais ; pénètrent carcans, bandages, tissus rêches, entraves, ramassis de guenilles comme perles de collier. (...) - Ici il n'y a pas d'innocentes, pas d'erreurs, vous êtes ici pour quelque chose. » S.R.S.
Les séries photographiques de Delphine Balley reconstituent et théâtralisent faits divers, scène familiales, scènes d'avant ou d'après crime, histoires vraies avec une extrême minutie, un goût prononcé pour le motif et le détail. Ces saynètes, métaphores du quotidien, sont autant de huis clos hors du temps qui mêlent savamment réalité et fantastique.
La singularité créatrice de l'artiste transporte le spectateur dans un univers insolite, étrange, inquiétant, parfois dérangeant, mais toujours empreint d'humour et de dérision.
Delphine Balley armé de son appareil photographique navigue entre la chronique, le journalisme, la narration, le conte ou encore le cinéma. De ses multiples influences (Velasquez, Goya, Ellroy, Kubrick), elle tire un regard particulier, reconstituant ainsi, par le truchement des cadrages, des lumières et des savantes mises en scène, des tableaux aussi classiques que novateurs.
Préface de Gisèle Freund « Aujourd'hui, l'histoire de la photographie ne pourra plus se passer de son nom. Son oeuvre fait partie du petit groupe des grands artistes des années trente qui ont su donner à la photographie l'aura d'une création artistique. » G. F.
« Comme les enfants sont trop souvent jugés sur le modèle des adultes, les femmes sont trop souvent évaluées sur le modèle des hommes. L'intention de mon livre est de mettre en lumière, aussi clairement que possible, dans son esprit, ses activités, ses relations avec le monde entier, l'être humain peut être représenté et symbolisé par la femme. » I. B.
Aussi flamboyants qu'énigmatiques, lyriques mais aussi secrets, les poèmes d'Emily Dickinson allient une splendeur baroque à un minimalisme abstrait. Ce livre propose, d'une telle écriture du secret, une lecture exégétique, au fil d'un grand nombre de poèmes (dont les textes sont présentés en version bilingue, avec une traduction originale), au fil des lettres aussi, et tout en mettant en regard des textes essentiels, de Shakespeare ou Mallarmé, de la Bible ou de Kierkegaard. Apparaissent alors l'ambiguïté, la violence et la puissance de l'écriture dickinsonienne, riche d'inépuisables trésors métaphoriques, mais aussi de véritables mines critiques. Toute une grammaire poétique et analytique originale est ainsi mise à jour. C'est finalement le secret qui se laisse voir à l'ouvre, dans la simplicité de ses silences sublimes comme dans la complexité de ses traductions ironiques - révélant chez Dickinson, à côté d'une écriture silentiaire, une manière de drôlerie philosophique.
« Regarde cette fente profonde qui s'ouvre la plaie saigne le volcan crache de la lave une lave enragée mêlée de sang notre histoire est devenue lave peuple incandescent qui se fond à la terre guérilleros invisibles qui dévalent tels des cascades transparentes les soldats ne les ont pas vus... »
Ici, c'est un homme qui est habité par une jeune fille, venue de la misère du Nord-Est brésilien, à Rio, où elle mourra. « Je jure que ce livre est écrit sans mots. C'est une photographie muette. Ce livre est un silence. Ce livre est une question », écrit-il. Et il est tout occupé d'elle : écrire sa vie, sa mort doit le délivrer, lui qui a échappé au sort sans futur qu'elle subit. Il l'aime, comme on aime ce qu'on a craint de devenir...
S'il avoue être le personnage le plus important des sept que comporte son histoire, il ne dit rien de celui dont la présence s'impose progressivement dans ces pages ; la mort qui efface le feu scintillant et fugace de "L'Heure de l'étoile", l'heure à laquelle celle qui meurt devient, pour un instant, l'étoile de sa propre vie, désormais réalisée.