Devant l'objectif : un monde qui se déchire. Derrière l'objectif : une femme. Dans ce livre audio, lu par l'autrice, Christine Spengler revient sur les vingt-cinq ans durant lesquels elle a témoigné des « causes justes » en photographiant les conflits. Grand reporter de guerre, elle se sent en communion avec le deuil et la douleur du monde, surtout après le suicide de son frère Éric, auquel elle était profondément liée depuis l'enfance . Elle porte un regard sensible et singulier, celui d'une femme qui, au plus profond du drame, voit la vie continuer malgré tout.
Christine Spengler prolonge la lecture de longs extraits de son livre par celle d'un texte inédit sur l'une de ses fameuses photos, "Les Colombes blanches de Calais", prise en 2016 dans la jungle de Calais.
Un soir de vent noir, Mouchette, quatorze ans, emprunte les bois pour retourner dans son foyer, une masure imprégnée de misère, d'alcoolisme et de maladie. La pluie s'abat sur la jeune fille lorsqu'elle croise le chemin d'Arsène, qui lui propose de s'abriter chez lui. L'homme l'enivre d'histoires extraordinaires pour l'impressionner. Le genièvre réchauffe la gorge et échauffe le corps du braconnier. Mouchette, sans défense, est violée. Quelques temps plus tard, sa mère décède sans que l'enfant ait pu lui confier son terrible fardeau, ce sentiment de honte qui ne la quittera plus, jusqu'au drame.
Quand Élisabeth reçoit les excuses de son fiancé qui ne viendra pas la chercher à l'aéroport, elle prend la place d'une femme absente, attendue par un chauffeur de taxi. « Emma Auster » indique la pancarte : voilà qui elle deviendra. Nouvelle nounou d'une famille au père épisodique, elle soigne son mal d'enfant auprès de Suzanne sujette aux terreurs nocturnes et son grand frère pyromane. Pour parfaire l'imposture, elle adopte la passion de celle qu'elle remplace : la photographie ornithologique. Et si elle s'inventait cette nouvelle vie ?
Isabelle Carré tisse une toile complexe dans ce roman à tiroirs où s'entremêlent à en donner le vertige la réalité et la fiction.
« À chaque soirée, chaque représentation théâtrale, chaque vente d'objets artisanaux, il venait me parler, il venait aider, faire le pitre aussi, parce que c'était la façon afghane de faire. Il me disait souvent : «Toi, ma petite, tu as la folie afghane, c'est cette folie qui me lie à ton pays et à ton peuple, cette faculté de rire au coeur du drame.» » C.H.
En 1986, Chékéba, onze ans, séparée de sa mère, traverse avec un passeur les montagnes qui séparent l'Afghanistan du Pakistan. La résistance islamiste à l'occupation soviétique déstabilise le pays. La famille Hachemi a pris la fuite et se retrouve en France, suivant de loin la guerre civile et la prise de pouvoir des talibans. Avec ses maigres moyens, sa volonté de fer et son sens de l'humour, Chékéba fonde, dix ans plus tard, Afghanistan Libre, association visant à l'autonomisation et l'éducation des femmes et des filles afghanes, notamment à travers la construction de plus de trois cents écoles. Ses initiatives et sa verve la propulsent au coeur de la résistance, aux côtés du commandant Massoud. Une ascension parsemée de succès et d'échecs, de désillusions et d'espoirs, qui la conduit à devenir la première diplomate afghane à la veille de l'assassinat de Massoud et des attentats du World Trade Center. Plongée dans les milieux politiques, elle démissionnera pour en dénoncer la corruption et mieux continuer la lutte sur le terrain.
« J'ai été victime, j'ai été témoin, j'ai recueilli des témoignages. Je suis toutes ces femmes. Je peux parfois m'appeler Natacha, Sarah, Lucie ou avoir bien d'autres noms encore... » T. M. B.
Zaïre, 1996. Une guerre éclate dans les hauts plateaux, voisins du Rwanda, à l'est de la future République démocratique du Congo. Le début d'un cauchemar de près de trois décennies, hanté par le fantôme du colonialisme. S'y disputent des intérêts multiples pour les richesses minières du sous-sol. La population, désemparée, bascule dans l'horreur. Elle subit les exactions perpétrées par des rebelles, militaires, policiers, pillards, hommes ivres de la puissance conférée par les armes. Instrumentalisés comme armes de guerre, les viols et mutilations sexuelles ravagent les corps et imposent la double peine du silence; car les femmes, rejetées par leur famille ou la communauté, portent la honte et les enfants du crime. Tatiana Mukanire Bandalire parle, en son nom propre ainsi qu'au nom de toutes les victimes.
L'orpheline Giuseppa est surnommée « La Fortuna » pour la main généreuse qui a payé son éducation dans un couvent de Sicile. Elle vit toutefois une vie misérable au milieu de religieuses au coeur sec. Sa soif du monde et de liberté lui donne à l'âge adulte la force d'emmener mari et fils loin de la tyrannie de sa belle-famille, et loin de la terre natale. Avec pour seule boussole sa confiance en un avenir meilleur, elle entreprend de traverser la Méditerranée pour rejoindre les rives de la Tunisie, « Petite Amérique » de l'immigration italienne et pour se bâtir une nouvelle vie.
« J'ai un peu lu : Bible, contes siciliens, manuels de savoir-vivre français, traités de jardinage. Maigre bagage, pour un esprit qui s'éveille. Mais les soeurs craignaient que mon esprit ne caracole loin d'elles et limitaient mon horizon. Elles m'ont inculqué la peur de l'inconnu, pour faire de moi une fille docile, craignant de quitter la niche. Il fallait que je leur échappe, que je leur désobéisse pour vivre. » F. G.
Une femme devient mère pour la première fois. Sa propre mère n'est pas là pour l'aider à accueillir sa fille nouvelle-née. Elle l'a perdue à l'âge de quatre ans et, adulte, a revécu sa mort par la profanation de sa tombe au cimetière. Cette béance n'a d'égale que l'omniprésence de son souvenir : la jeune femme cherche partout sa mère pour en devenir une et ne la retrouve nulle part dans l'image d'une des plus grandes étoiles du cinéma toujours présente dans les coeurs et sur les écrans. Plutôt qu'à sa mère au paradis, elle décide alors de s'adresser à sa fille, cadeau du ciel.
« Personne ne veut oublier ma mère, à part moi. Tout le monde veut y penser, sauf moi. Personne ne pleurera autant que moi si je me mets à y penser. On me parle d'elle en disant son nom au lieu de dire «ta mère», «votre mère». Comme si je n'étais pas là, devant eux.
Je ne comprends pas ce qu'ils disent. Je ne les écoute déjà plus. De qui parlent-ils ? Son nom ne m'intéresse pas, il n'y a que ma mère qui m'intéresse. » S.B.
J'avais vingt ans quand je suis montée dans le bus. Je portais ma salopette, un col roulé noir, et le vieil imper gris que j'avais acheté à Camden. Ma petite valise écossaise rouge et jaune contenait quelques crayons de couleur, un carnet, les Illuminations, quelques fringues, et des photos de mon frère et de mes soeurs. J'étais superstitieuse. Nous étions un lundi ; j'étais née un lundi. C'était un bon jour pour arriver à New York City. Personne ne m'attendait. Tout m'attendait. » P. S.
Les jeunes Patti Smith et Robert Mapplethorpe se rencontrent par hasard à New York à la fin des années 1960. "Just Kids", roman d'initiation bohème, retrace les débuts de ces enfants terribles, jusqu'au moment où la chanteuse enregistre son premier album, "Horses", et voit décoller sa carrière. Cette épopée mythique, histoire d'amour et d'amitié, qui s'ouvre et s'achève avec la mort du photographe, immortalise les instants incandescents d'une période décisive dans ces deux vies d'artistes et dans l'histoire de la musique américaine.
Ils ne se connaissent pas et se regardent en chiens de faïence dans le square parisien où quotidiennement ils se croisent. Joséphine, Guillaume, Anaïs, Xavier, Stella, Serge, Émir... Ils entendent d'une oreille l'arrivée lointaine d'un fléau au nom baroque. Mais ils ne s'en préoccupent guère, si ce n'est Magali qui vient de retrouver le goût de vivre, ou lorsqu'ils plongent leurs pensées dans les yeux fiévreux d'un vagabond. Bientôt les voici enfermés, à regretter la présence irritante et rassurante des autres.
« Ah, qu'on lui en donne les moyens, c'est-à-dire du temps, et il écrira son Odyssée, sa Divine Comédie, son Guerre et Paix, son Moby Dick, sa Légende des siècles, son Désert des Tartares, son Crime et châtiment, son Frankenstein, son Bruit et la Fureur, son Vie et destin, son Pavillon d'or... Oui, du temps, du temps rien qu'à lui, et le magma d'images qui couve et bout dans sa tête, le plasma de mots qui gronde et chuinte dans son sang, entreront en éruption, en explosion. Du temps et du silence où laisser résonner toute cette haute clameur. » S.G.
Tina Jolas, esprit libre et rêveur, fut la compagne de René Char pendant plus de trente ans. Happée par un amour exigeant et absolu, elle fut pour sa fille une figure de grâce et de disparition. Avec une douceur infinie, Paule du Bouchet retrace ici un parcours de vie: des lieux, des instants, des événements formant cartographie de cette haute figure. La puissance de son écriture rend sensibles à la fois son désespoir d'enfant, la splendeur de cette mère « emportée » dans un ailleurs et l'amour indéfectible qui les lie. Avec délicatesse, Isabelle Carré redonne une voix à cette lignée de femmes, par la lecture d'Emportée suivie de la fougueuse correspondance de Tina Jolas et de sa plus fidèle et tendre amie, Carmen Meyer. Faustine de Monès, fille de Paule du Bouchet, petite-fille de Tina Jolas, prolonge par sa voix lyrique cette oeuvre de filiation en hommage à sa grand-mère.
« Ma mère possédait en propre une aptitude au secret, singulièrement raffinée, laquelle se rapprochait chez elle de l'acception la plus accomplie du mot, le sens du mystère. Dans le même temps, elle restait une grande et droite nature. Alchimie rare entre toutes, haut lieu de son intimité, c'était là sa part infiniment poétique. Celle qui l'a fait aimer des poètes. » P. d. B.
« Parler des violences faites aux femmes, parce que c'est un problème qui est au coeur même de ce monde et dont on ne parle pourtant toujours pas, qu'on ne voit pas, auquel on ne donne pas de poids ou de sens. Pour que les mots brisent l'engourdissement et la négation, la dissociation et la distance, les mensonges. » E.E.
Ce recueil rassemble des textes écrits par une cinquantaine d'écrivaines et écrivains américains, sous la direction d'Eve Ensler et Mollie Doyle, pour servir de base à l'organisation d'événements contre les violences faites aux femmes et aux filles. Les bénéfices de la vente de ce livre parlant seront versés à La Cité de la Joie, le centre révolutionnaire fondé par Eve Ensler et le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix, où trouvent refuge et soutien les victimes de viols de guerre en République Démocratique du Congo.
Un enfant forcé d'apprendre le piano n'arrive pas à retenir le sens de « moderato cantabile » dans la sonatine de Diabelli. Venu du rez-de-chaussée, un cri déchire la leçon. Un homme a assassiné une femme d'une balle en plein coeur. Anne Desbaresdes, la mère du garçon, revient obsessionnellement au café où le crime a eu lieu pour s'enivrer et interroger un homme. Elle cherche à comprendre, ou à se perdre.
« - Veux-tu lire ce qu'il y a d'écrit au-dessus de ta partition ? demanda la dame.
- Moderato cantabile, dit l'enfant.
La dame ponctua cette réponse d'un coup de crayon sur le clavier. L'enfant resta immobile, la tête tournée vers sa partition.
- Et qu'est-ce que ça veut dire, moderato cantabile ?
- Je sais pas.
Une femme, assise à trois mètres de là, soupira. » M. D.
Le texte imprimé a paru aux Éditions de Minuit, en 1958.
Avec cet enregistrement, les éditions des femmes retournent aux sources en publiant un « livre parlant » de référence : "De la voix". Ce recueil de textes d'Antoinette Fouque sur les thèmes qu'elle a toute sa vie mis en travail - théorique et pratique, oral et écrit, lecture et écriture, corps et texte... - est l'occasion d'une nouvelle rencontre de voix. On y entend l'autrice-éditrice, enregistrée lors d'émissions et d'entretiens, ainsi que des lectures par des actrices amies : Fanny Ardant, Ariane Ascaride et Lio.
« Restituer le corps vocal, le corps chantant du texte, c'est redonner du corps au texte, du corps vivant, parlant, c'est rendre du texte au corps, c'est mettre en écho. » Antoinette Fouque
Les souvenirs « de l'enfance à l'âge adulte » deviennent des micro-récits autobiographiques scandés, martelés par une voix qui souligne certains des mots les plus importants.
Souvenirs trouvant leur source dans la mort portée en soi : deuil éternel de la mère génitrice jamais connue, mots ressassés, harcelants, épuisants. Souvenirs de lecture qui devient le sujet même des textes. Souvenirs lumineux enfin, pour la période plus récente de la vie de l'auteur qui disent son enthousiasme dans le cadre de rencontres. S'ils sont encore pour certains frappés de noirceur, ils ne concernent plus l'intériorité de l'auteur mais le chaos du monde dans lequel il vit aujourd'hui. L'écriture fait naître et laisser parler les morts aussi bien que les « exilés des mots ». À l'écoute des deux voix, on comprend que la conquête des mots fut aussi conquête de soi et de son destin.
(d'après Nelly Carnet, revue Autre sud n° 46, sept. 2009)
Élisabeth Roudinesco fait revivre, en une fresque remarquable, les doctrines, les hommes et les femmes qui ont incarné en France cette révolution de la pensée qu'est la psychanalyse. De façon accessible, elle met en perspective les théories, les mouvements et les débats qui ne cessent d'animer le mouvement psychanalytique depuis 1885.
"Les années Freud" racontent l'histoire de l'introduction de la psychanalyse en France : la rencontre de Freud et de Charcot, la découverte de l'hystérie, la fondation à Vienne du premier Cercle freudien, l'essor international du mouvement et, en contrepoint, l'aventure des grand·e·s pionniers et pionnières français·e·s.
"Les années Lacan" relatent l'évolution de la psychanalyse à partir de 1925, et l'émergence de la deuxième implantation du freudisme dans ce pays autour de la personnalité de Jacques Lacan.
« Ces "Je me souviens" ne sont pas exactement des souvenirs, et surtout pas des souvenirs personnels, mais des petits morceaux de quotidien, de choses que, telle ou telle année, tous les gens d'un même âge ont vues, ont vécues, ont partagées, et qui ensuite ont disparu, ont été oubliées ; elles ne valaient pas la peine d'être mémorisées, elles ne méritaient pas de faire partie de l'Histoire, ni de figurer dans les Mémoires des hommes d'État, des alpinistes et des monstres sacrés. Il arrive pourtant qu'elles reviennent, quelques années plus tard, intactes et minuscules, par hasard ou parce qu'on les a cherchées, un soir, entre amis : c'était une chose qu'on avait apprise à l'école, un champion, un chanteur ou une starlette qui perçait, [...] un geste, ou quelque chose d'encore plus mince, d'inessentiel, de tout à fait banal, miraculeusement arraché à son insignifiance, retrouvé pour un instant, suscitant pendant quelques secondes une impalpable petite nostalgie. » G.P.
Recueil de minuscules souvenirs réunis entre 1973 et 1977, qui s'échelonnent entre la 10e et la 25e année de l'auteur (1946-1961), "Je me souviens" fait revivre l'air du temps de l'après-guerre et des années 1950.
« Chaque poème achevé devrait apparaître comme un caillou dans la forêt insondable de la vie ; comme un anneau dans la chaîne qui nous relie à tous les vivants.
Le Je de la poésie est à tous Le Moi de la poésie est plusieurs Le Tu de la poésie est au pluriel. » A.C.
Ces pages, lues à deux voix, sont issues de deux recueils, "Textes pour un poème" (1949-1970) et "Poèmes pour un texte" (1970-1991), creuset de quarante années de la poésie d'Andrée Chedid. Accompagnées des notes légères de fifre, tambour, mandoline et flûte de Pan, les voix entrelacées du comédien et de la poétesse donnent souffle, corps et rythme à ces poèmes lumineux et remplis d'espérance.
« L'histoire d'"Un coeur simple" est tout bonnement le récit d'une vie obscure, celle d'une pauvre fille de campagne dévote mais mystique, dévouée sans exaltation et tendre comme du pain frais. Elle aime successivement un homme, les enfants de sa maîtresse, un neveu, un vieillard qu'elle soigne, puis son perroquet : quand le perroquet est mort, elle le fait empailler, et, mourant à son tour, elle confond le perroquet avec le Saint-Esprit. Ce n'est nullement ironique comme vous le supposez, mais au contraire très sérieux et très triste. Je veux apitoyer, faire pleurer les âmes sensibles, en étant une moi-même. » G. F.
"Du côté de chez Swann" et "Le Temps retrouvé", début et fin d'"À la recherche du temps perdu", sont deux arches, à la construction parallèle, sur lesquelles s'appuie le grand oeuvre de Proust. Ces deux textes définissent ce qu'est "La Recherche", l'histoire d'une vocation, le salut par l'écriture.
Dans le premier, c'est l'enfance restituée : Combray, les rêves, le territoire que le narrateur partage avec sa mère et sa grand-mère, les lieux de la fascination (le théâtre, les voyages, les visages de jeunes filles, l'or des noms...).
Dans le dernier, le temps a passé : il a rendu les êtres méconnaissables, détruisant tout à l'exception de l'art, union de la sensation et du souvenir. Le narrateur va enfin se mettre à écrire.
« En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L'ouvrage de l'écrivain n'est qu'une espèce d'instrument optique qu'il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans ce livre, il n'eût peut- être pas vu en soi-même. » M.P.
Pendant l'été 1980, Marguerite Duras écrit des chroniques hebdomadaires sur « l'actualité parallèle » pour le journal Libération. Elle décide de les publier en livre. Depuis son appartement des Roches Noires, au-dessus de la plage de Trouville, elle décrit des anecdotes choisies, typiques de la vie balnéaire. Un jour, elle voit au loin un enfant marchant aux côtés d'une monitrice de colonie de vacances. "La Jeune Fille et l'enfant" est l'histoire d'amour fou qui la saisira à cette vue, un amour impossible, « peut-être la plus belle histoire d'amour que j'aie écrite », dira-t-elle.
« Sur le chemin de planches passe la jeune fille de la plage.
Elle est avec l'enfant. Il marche un peu à côté d'elle, ils vont lentement, elle lui parle, elle lui dit qu'elle l'aime, qu'elle aime un enfant. Elle lui dit son âge à elle, dix-huit ans, et son nom. Il répète ce nom. Il est mince, maigre, ils ont le même corps, la même démarche lasse, longue. Sous le réverbère elle s'est arrêtée, elle a pris son visage dans sa main, elle l'a levé vers la lumière, pour voir ses yeux, dit-elle, gris. Tu es l'enfant aux yeux gris. » M. D.
Comme dans une conversation familière et intime, Françoise Sagan nous dresse en mosaïque les portraits des grand·e·s de son époque qu'elle a eu la chance de côtoyer : Billie Holiday, Orson Welles, Rudolf Noureev, Jean-Paul Sartre... Pulsions, émotions, passions, admirations composent la musique pudique et singulière de ses souvenirs.
Dix ans après avoir enregistré "Avec mon meilleur souvenir", le plus personnel et le plus accompli de ses livres, Françoise Sagan raconte dans "Derrière l'épaule" (Plon, 1998) cette expérience inédite : « Le studio donnait sur une cour, style Utrillo, où un enfant et un chat se succédaient. Contrairement aux prédictions pessimistes de l'ingénieur du son, je me débrouillai fort bien, ne bégayai pas et inscrivis ma voix sur un disque, comme une professionnelle, pendant trois jours... C'était l'été, je crois, et j'ai gardé un souvenir paresseux et réussi de ces trois jours. » « Qui n'a pas cru sa vie inutile sans celle de l'"autre"... qui n'a pas senti son corps tout entier se mettre en garde, la main droite allant flatter le changement de vitesse, la main gauche refermée sur le volant et les jambes allongées... qui n'a pas ressenti ce mélange de refus et de provocation, n'a jamais aimé la vitesse, n'a jamais aimé la vie - ou alors, peut-être, n'a jamais aimé personne. » F.S.
Ce livre audio, une sélection parmi le recueil de nouvelles "La Maison de Claudine" paru en 1922, s'ouvre sur « Ma mère et les bêtes » lu par Colette elle-même en 1947. Sa voix aux couleurs de sa terre et ses voluptueux « r » roulés ensoleillent les oreilles. Puis la chaleureuse Anny Duperey prend sa suite avec panache pour nous lire comme autant de contes « La Petite », « La Noce », « Où sont les enfants ? », « Maternité », « Le Rire » et « La Noisette creuse ».
« Que tout était féerique et simple, parmi cette faune de la maison natale... Vous ne pensiez pas qu'un chat mangeât des fraises ? Mais je sais bien, pour l'avoir vu tant de fois, que ce Satan noir, Babou, interminable et sinueux comme une anguille, choisissait en gourmet, dans le potager de Mme Pomié, les plus mûres des "caprons blancs" et des "belles-de-juin". C'est le même qui respirait, poétique, absorbé, des violettes épanouies. » C.
Jacques Derrida couche ce texte sur le papier de janvier 1989 à avril 1990, alors que sa mère se meurt. Il a alors 59 ans. 59 bandes d'écriture composent ce tissu verbal, chacune constituée d'une seule phrase, pour une année de vie. Circonfession - hybridation de « Confession » et « Circoncision » - est nourri d'éléments biographiques. Mais la confession est à la fois possible et impossible, dit l'auteur, qui ne sait pas qui parle, qui prie dans ce texte, ni ce qui se dit en secret.
« Peut-on nommer son propre sang ? Et décrire la première blessure, ce moment où, paraissant au jour, le sang se refuse encore à la vie ? À supposer qu'on se rappelle sa circoncision, pourquoi cet acte de mémoire serait-il une confession ? L'aveu de quoi, au juste ?
Et de qui ? À qui ?
Rôdant autour de ces questions, essayant, comme au clavier, une voix juste au-dedans de moi, je tente de dire de longues [...] phrases, et de les murmurer au plus près de l'autre qui pourtant les aspire, soupire, expire, les dicte même. Cette diction est aussi une dictée. Plusieurs voix résonnent en une, dès lors, elles se croisent, elles se disputent même une parole finalement torsadée. » J. D.
Lorsque sa fille, Mme de Grignan, la quitte pour rejoindre son mari en Provence, la marquise de Sévigné déploie soudain toute l'étendue de ses talents littéraires dans les lettres qu'elle lui envoie pour soulager sa peine que lui cause cette séparation. Par son oeuvre tissée dans la matière de son existence et de celle qu'elle aime le plus au monde, l'épistolière interroge ici la définition même de la littérature, et son rapport à la vie. Elle fait enfin entrer la relation mère-fille, occultée dans un monde d'hommes, dans les belles-lettres françaises.
« Mais, mon Dieu, où ne vous ai-je point vue ici ? et de quelle façon toutes ces pensées me traversent-elles le coeur ? Il n'y a point d'endroit, point de lieu, ni dans la maison, ni dans l'église, ni dans le pays, ni dans le jardin, où je ne vous aie vue. Il n'y en a point qui ne me fasse souvenir de quelque chose de quelque manière que ce soit. Et de quelque façon que ce soit aussi, cela me perce le coeur. » M.d.S.