Il était resté glissé dans la poche intérieure du vieil étui en cuir acheté sur Internet. Un tout petit répertoire, comme ceux vendus avec les recharges annuelles des agendas, daté de 1951.
A : Aragon. B : Breton, Brassaï, Balthus... J'ai feuilleté avec sidération ces pages un peu jaunies. C : Cocteau, Chagall... E : Éluard... G : Giacometti... Chaque fois, leur numéro de téléphone, souvent une adresse. Vingt pages où s'alignent les plus grands artistes de l'après-guerre. Qui pouvait bien connaître et frayer parmi ces génies du XXe siècle ?
Il m'a fallu trois mois pour savoir que j'avais en main le carnet de Dora Maar.
Il m'a fallu deux ans pour faire parler ce répertoire, comprendre la place de chacun dans sa vie et son carnet d'adresses, et approcher le mystère et les secrets de la « femme qui pleure ». Dora Maar, la grande photographe qui se donne à Picasso, puis, détruite par la passion, la peintre recluse qui s'abandonne à Dieu.
B. B.
Alicia Dujovne Ortiz
Dora Maar
Prisonnière du regard
Dora Maar, Henriette Théodora Markovitch de son vrai nom, est née à Paris en 1907 d'un père croate, architecte, et d'une mère française, catholique fervente. Après une enfance austère passée à Buenos Aires, elle revient à vingt ans dans sa ville natale et s'y impose comme photographe surréaliste. Muse de Man Ray, compagne du cinéaste Louis Chavance puis de Georges Bataille, elle ne tarde pas à faire sien un cercle esthétique qui révolutionne le monde de l'art de l'entre-deux-guerres. Intellectuelle torturée, artiste à la conscience politique extrême, elle deviendra « la femme qui pleure », amante de Picasso livrée aux exigences du génie, que leur rupture rendra folle, cloîtrée dans un mysticisme solitaire jusqu'à sa mort, en 1997. Ses portraits peints par Picasso seront alors vendus aux enchères, et son héritage âprement disputé puisque Dora choisit de tout léguer à l'Église.
De Cocteau à Lacan, c'est toute une époque que dépeint Alicia Dujovne Ortiz. Au détour d'une enquête psychologique passionnante, elle fait défiler dans ces pages une pléiade d'artistes d'avant-garde et de grands esprits, et dresse le portrait d'une femme-image toujours mystérieuse, à laquelle la critique contemporaine attribue enfin le rôle qui lui revient.
Fabienne Verdier Passagère du silence Tout quitter du jour au lendemain pour aller chercher, seule, au fin fond de la Chine communiste, les secrets oubliés de l'art antique chinois, était-ce bien raisonnable ? Fabienne Verdier ne s'est pas posé la question : en ce début des années 1980, la jeune et brillante étudiante des Beaux-Arts est comme aimantée par le désir d'apprendre cet art pictural et calligraphique dévasté par la Révolution culturelle. Et lorsque, étrangère et perdue dans la province du Sichuan, elle se retrouve dans une école artistique régie par le Parti, elle est déterminée à affronter tous les obstacles : la langue et la méfiance des Chinois, mais aussi l'insupportable promiscuité, la misère et la saleté ambiantes, la maladie et le système inquisitorial de l'administration. Dans un oubli total de l'Occident, elle devient l'élève de très grands artistes méprisés et marginalisés qui l'initient aux secrets et aux codes d'un enseignement millénaire.
De cette expérience unique sont nés un vrai récit d'aventures et une oeuvre personnelle fascinante, qui marie l'inspiration orientale à l'art contemporain, et dont témoigne son extraordinaire livre d'art L'Unique Trait de pinceau (Albin Michel).