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maylis de kerangal
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Nouvelle édition en 2020
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«Finalement, il vous dit quelque chose, notre homme ? Nous arrivions à hauteur de Gonfreville-l'Orcher, la raffinerie sortait de terre, indéchiffrable et nébuleuse, façon Gotham City, une autre ville derrière la ville, j'ai baissé ma vitre et inhalé longuement, le nez orienté vers les tours de distillation, vers ce Meccano démentiel. L'étrange puanteur s'engouffrait dans la voiture, mélange d'hydrocarbures, de sel et de poudre. Il m'a intimé de refermer, avant de m'interroger de nouveau, pourquoi avais-je finalement demandé à voir le corps ? C'est que vous y avez repensé, c'est que quelque chose a dû vous revenir. Oui, j'y avais repensé. Qu'est-ce qu'il s'imaginait. Je n'avais pratiquement fait que penser à ça depuis ce matin, mais y penser avait fini par prendre la forme d'une ville, d'un premier amour, la forme d'un porte-conteneurs.»
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«L'herbe avait bleui dans les ombres du soir, tout comme le profil de Sam dont les yeux harponnaient loin, iris rétroéclairés par les lumières du tableau de bord. Je lui ai trouvé cet autre visage que j'allais devoir apprendre à connaître, l'air habité de ceux qui mettent le réel à distance, ceux qui dévient en douce, décollent, glissent dans l'illusion.» Une Parisienne exilée dans une petite ville du Colorado s'acclimate difficilement à sa nouvelle vie, contrairement à son compagnon, dont la voix et la personnalité se mettent à changer... Autour de cette novella centrale se déploient et se répondent sept autres récits qui font la part belle aux femmes - solitaires, rêveuses, volubiles, hantées ou marginales. D'une nouvelle à l'autre, Maylis de Kerangal questionne la manière dont le temps érode les êtres et leurs liens : qu'est-ce qui reste, se transforme, ou disparaît ?
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«Le mur qui se dresse maintenant devant Tomi lui inspire ce même sentiment d'invulnérabilité et cette même folie - Seyvoz, un mur de fiction qui retient un lac d'artifice.» Tomi Motz, ingénieur solitaire, est mandaté par son entreprise pour contrôler les installations du barrage de Seyvoz. Son édification, dans les années 1950, a entraîné la création d'un lac artificiel et englouti le village de montagne qui se trouvait là. Pendant quatre jours, Tomi arpente la zone. Sous l'effet d'un étrange magnétisme, sa mission se voit bientôt perturbée par une série de troubles sensoriels et psychiques. Autour de lui, le réel se dérobe ; tout vacille, les lieux et les comportements, les jours comme les nuits, et peut-être jusqu'à sa propre raison.
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« A l'aube du second jour, quand soudain les buildings de Coca montent, perpendiculaires à la surface du fleuve, c'est un autre homme qui sort des bois, c'est un homme hors de lui, c'est un meurtrier en puissance.
Le soleil se lève, il ricoche contre les façades de verre et d'acier, irise les nappes d'hydrocarbures moirées arc-en-ciel qui auréolent les eaux, et les plaques de métal taillées en triangle qui festonnent le bordé de la pirogue, rutilant dans la lumière, dessinent une mâchoire ouverte. » Ce livre part d'une ambition à la fois simple et folle : raconter la construction d'un pont suspendu quelque part dans une Californie imaginaire à partir des destins croisés d'une dizaine d'hommes et femmes.
Un roman-fleuve qui brasse des sensations et des rêves, des paysages et des machines, des plans de carrière et des classes sociales, des corps de métiers et des corps tout court. Prix Médicis 2010.
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«Finbarr repoussa la couverture, repoussa l'idée de la bière et du tabac, l'idée d'un tour au pub ou d'un racket crapuleux derrière les tanneries, il repoussa l'idée des filles de Belgooly. Il écarta tout cela et alors, il ne resta plus devant lui que l'avenir tout nu et qui n'en finissait pas.» Irlande, 1915. La nuit où Finbarr Peary décide de quitter le petit village misérable dans lequel il a grandi, un navire échoue près de la côte. Les décisions qu'il prendra alors bouleverseront le cours de son existence. Été 2003, une expédition nocturne s'organise sur les pentes du Stromboli. Deux amis, aux prises avec leurs vertiges volcaniques, tombent sous le charme d'une inconnue, Antonia. Cette rencontre pourrait bien précipiter leur chute à tous...
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«Ceux-là viennent de Moscou et ne savent pas où ils vont. Ils sont nombreux, plus d'une centaine, des gars jeunes, blancs, pâles même, hâves et tondus, les bras veineux le regard qui piétine, le torse encagé dans un marcel kaki, allongés sur les couchettes, laissant pendre leur ennui résigné dans le vide, plus de quarante heures qu'ils sont là, à touche-touche, coincés dans la latence du train, les conscrits.» Pendant quelques jours, le jeune appelé Aliocha et Hélène, une Française montée en gare de Krasnoïarsk, vont partager en secret le même compartiment, supporter les malentendus de cette promiscuité forcée et déjouer la traque au déserteur qui fait rage d'un bout à l'autre du Transsibérien. Les voilà condamnés à fuir vers l'est, chacun selon sa logique propre et incommunicable.
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Dressés au milieu de l'océan comme un symbole du lien - et de la frontière - entre le monde sauvage et la civilisation, entre l'eau, la terre et le ciel, les phares fascinent depuis les temps antiques. Au fil de six pélerinages aux quatre coins du monde, Jazmina Barrera évoque la petite histoire de quelques une de ces constructions uniques, celle des hommes qui les ont habités mais aussi les voix qui s'en sont faites l'écho, de Virginia Woolf à Edgar Alan Poe en passant par Melville.
Ce carnet est à la fois le journal d'une collectionneuse et un guide qui semble nous murmurer à l'oreille que ce lieu singulier peut nous révéler à nous-même. Une invitation au voyage tout autant qu'une réflexion poétique et essentielle sur la puissance rédemptrice de la nature sauvage. -
Je marche sous un ciel de traîne
Maylis de Kerangal
- Verticales
- Phase Deux Verticales
- 16 Septembre 2000
- 9782843350641
Antoine Dezergues, le narrateur, est un jeune homme essoufflé qui erre le coeur vide dans une totale absence de projet comme de désir. Une panne de voiture le fait échouer à Ribérac, une petite bourgade du Sud-Ouest, peuplée d'âmes solitaires. Là, il s'enlise peu à peu dans une déambulation infinie qui n'a d'autre objet, entre parties de pêche et longueurs en piscine, que de se livrer - sans aucune complaisance - à l'examen de son existence dissoute. Deux personnages surgissent à égales distances de lui : Armand Tabasque, libraire en faillite et manipulateur subtil et Claire, sa nièce, venue se réfugier chez lui. Le corps en fuite de Claire vient raviver celui d'Antoine. Triangulation du désir, opacité du passé, mensonges et porosités de la mémoire s'entrechoquent sur fond de campagne automnale. Un lourd secret lié à la Seconde Guerre mondiale hante les consciences coupables de ce village endormi. Les manipulations de Tabasque, l'innocence naïve d'Antoine vont alors permettrent aux intrigues de se dévoiler alors comme des trompe-l'oeil. Je marche sous un ciel de traîne est le roman de ce passage vers la vérité, celle que le village cachait et celle qu'Antoine va découvrir à son propre sujet.
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Femmes et sport ; regards sur les athlètes, les supportrices, et les autres
Maylis de Kerangal, Joy Sorman
- hélium
- 15 Octobre 2009
- 9782358510196
Le sport a longtemps été l'affaire des hommes, à la fois dans les stades, les médias et l'imaginaire collectif. Au début du XXe siècle, quelques pionnières sont entrées sur le terrain et ont commencé à chambouler les pratiques, les usages et les représentations : elles sont sorties de chez elles, ont couru autour de la piste, montré leurs jambes, gagné de l'argent, sont devenues des stars, et certaines sont restées des légendes. Aujourd'hui, qu'elles soient licenciées dans un club, supportrices, pom-pom girls ou championnes, les femmes se passionnent pour le sport. De Suzanne Lenglen aux soeurs Williams, de Nadia Comaneci à Manuela Montebrun, de Carolina Klüft à Nelly Viennot ou Samantha Davies, ce livre propose des portraits d'athlètes mais aussi d'aller voir du côté des stades, des tribunes, des vestiaires, et même des canapés les soirs de match à la télé. Une cinquantaine de textes par une équipe mixte d'auteurs amateurs de sport et une vingtaine de photos, qui sont autant d'entrées ludiques, subjectives et documentées, pour interroger aussi bien le sport au féminin que les femmes d'aujourd'hui : performantes, glamour, étonnantes.
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Le 3 octobre 2013, un navire venu de Libye débordant de réfugiés sombre au large de l'île de Lampedusa, faisant plus de 300 victimes. Maylis de Kerangal est dans sa cuisine, seule. C'est la nuit. Elle écoute la radio, le drame, les victimes. Imperceptiblement son esprit se détache de la réalité, se laisse emporter par un mot qui s'impose à son insu : Lampedusa.
Immédiatement, c'est le visage de Burt Lancaster qui s'invite. Quel rapport avec la catastrophe ?
Il est le prince Salina di Lampedusa du Guépard de Visconti, film adapté de l'unique roman de Guiseppe Tomasi di Lampedusa qui raconte le déclin de l'aristocratie sicilienne au début du XXe siècle. Aux images de naufrages, Maylis de Kerangal superpose celles, baroques et crépusculaires, du célèbre long-métrage. Et se dessine la silhouette de Burt Lancaster en noble sicilien, lui le comédien né à New York de parents anglo-irlandais. Prince et migrant à la fois.
Comme le flux et le reflux qui charrient les corps des noyés, Maylis de Kerangal repasse par sa cuisine où, « à ce stade de la nuit », son poste de radio poursuit le lancinant récit du drame avant qu'à nouveau, elle se laisse prendre par le souvenir d'autres îles, Stromboli à la « sensualité fatale » évoquée dans une ardente nouvelle (« Sous la cendre »), par le naufrage du Lusitania au sud de l'Irlande en 1915 qui amorce son récit « Ni fleurs ni couronnes », ainsi que par d'autres voyages, d'autres ouvrages, avant de revenir à Lampedusa, symbolisant dorénavant « la honte et la révolte ». Lampedusa : deux planètes à leur point de friction ? Ou la même humanité à son point de jonction ?
Avec ce texte court à l'écriture précise, subtile, presque douce, l'auteure invoque la magie des mots, et leur puissance évocatrice permet de faire vibrer, a posteriori, tout son parcours romanesque autrement, depuis Ni fleurs ni couronnes jusqu'à Réparer les vivants. Il est rare qu'en tentant de mettre à nu son art poétique, un écrivain parvienne si bien à condenser la trajectoire d'une écriture et à faire oeuvre à part entière.