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marie ndiaye
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Trois récits, trois femmes qui disent non. Elles s'appellent Norah, Fanta, Khady Demba. Chacune se bat pour préserver sa dignité contre les humiliations que la vie lui inflige avec une obstination méthodique et incompréhensible. L'art de Marie NDiaye apparaît ici dans toute sa singularité et son mystère. La force de son écriture tient à son apparente douceur, aux lentes circonvolutions qui entraînent le lecteur sous le glacis d'une prose impeccable et raffinée, dans les méandres d'une conscience livrée à la pure violence des sentiments.
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«Qui étais-je encore pour mes filles, certes tendres envers moi, mais déjà sorcières si accomplies qu'elles ne pouvaient certainement s'empêcher de ressentir, envers leur mère peu douée, une sorte d'indifférence condescendante ?» Lucie n'est pas une sorcière talentueuse. Ses deux filles, elles, se révèlent extrêmement habiles, au-delà des prétentions et des espoirs de Lucie qui n'aspirait qu'à en faire des sorcières efficaces. Quant à la mère de Lucie, son génie est absolu.
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Me Susane, quarante-deux ans, avocate récemment installée à Bordeaux, reçoit la visite de Gilles Principaux. Elle croit reconnaître en cet homme celui qu'elle a rencontré quand elle avait dix ans, et lui quatorze - mais elle a tout oublié de ce qui s'est réellement passé ce jour-là dans la chambre du jeune garçon. Seule demeure l'évidence éblouissante d'une passion.Or Gilles Principaux vient voir Me Susane pour qu'elle prenne la défense de sa femme Marlyne, qui a commis un crime atroce... Qui est, en vérité, Gilles Principaux ?
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La vie de Rosie Carpe commence à Brive-la-Gaillarde, entre son frère Lazare et ses deux parents Carpe qui sont encore, alors, dépourvus de toute espèce de fantaisie vénéneuse. Rosie conservera de Brive un souvenir confus et voilé de jaune, tandis que, pour son frère Lazare, le bonheur à Brive-la-Gaillarde gardera les couleurs d'un magnolia dont il est le seul à se rappeler la splendeur.
Ensuite, à Antony, Rosie Carpe est adulte. Elle met au monde Titi, travaille, et doucement chavire.
Quand Rosie Carpe débarque en Guadeloupe, elle a perdu depuis longtemps la maîtrise de ce qu"elle fait. Et tout ce qui lui arrive, enfant ou désastres, concerne tout aussi bien quelqu'un qui n'est peut-être pas elle. -
Nadia, la narratrice, est institutrice à Bordeaux dans la même école que son mari, Ange. Ils vivent leur profession comme un apostolat et en tirent une authentique félicité. Mais depuis quelque temps le couple est l'objet d'une vindicte générale, harcelante et inexplicable. Nadia tente de comprendre la nature du complot qui la broie, tandis qu'un brouillard épais ensevelit Bordeaux. Quelle faute a-t-elle commise, qui justifierait ses malheurs ? Pourquoi son fils s'est-il éloigné (d'elle Ange est-il vraiment son allié dans l'épreuve ? Et qui est ce voisin qui les accable de propos lénifiants, ce Noget qui s'impose peu à peu comme leur protecteur tout-puissant oe. Le roman de Marie NDiaye baigne dans une clarté crépusculaire. L'écriture étonne encore une fois par sa précision, sa retenue, sa profonde singularité. La douceur constante du ton, le caractère familier des épisodes qui se succèdent, l'enchaînement implacable et comme naturel des malheurs qui frappent la narratrice, mais aussi les fréquentes pointes d'humour et la cocasserie des situations plongent le lecteur dans le ravissement inquiet que font naître les contes.
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Après l'été les Parisiens désertaient les lieux de leurs vacances ensoleillées, ignorant tout du sort que l'automne faisait à la région qu'ils quittaient jusqu'à l'été suivant.
Un automne brutal, puis un long hiver de vent et de pluie, mortel aux corps fragiles. Cette saison-là, inconnue et implacable, il fut imposé à Herman de la découvrir. -
Quelle faute Fanny a-t-elle commise ? De quoi est-elle coupable pour être ainsi rejetée par les siens qui ne paraissent pas, eux, la considérer comme des leurs ? D'ailleurs, se nomme-t-elle bien Fanny ? Que reproche-t-on à ses vingt ans ? Des amourettes, des insolences ? D'avoir séduit son cousin Eugène ou d'avoir quitté Georges, son fiancé, « qui lui ressemblait » ? D'avoir traversé quelque crise d'originalité juvénile ; d'être le « mouton noir » qui dérange toute famille ; d'être adoptée, peut-être, ou une « pièce rapportée », comme on dit ? Aucune de ces hypothèses ne paraît se vérifier au fur et à mesure que se développe le récit. Fanny erre de maison en hôtel, du village à Paris, sa valise à la main, du foyer de son père à celui de sa mère, à la recherche de son identité plutôt qu'à celle de « tante Leda », personne ne voulant plus lui ouvrir une porte ni les bras.
En famille - le titre évoque un célèbre roman d'Hector Malot qui fit rêver nos enfances - est la longue quête d'une explication jamais donnée, jamais esquissée, l'expression d'une révolte informulée et réduite à des étonnements, à des humiliations, à des colères baignées dans une étonnante résignation. Fanny traverse des aventures minuscules, sordides et inépuisables, parfois serveuse de hamburgers dans un Fastfood, parfois violentée par un camionneur de rencontre ou bombardée à coups de prunes pourries, toujours traitée par sa « famille » avec un mystérieux et vigilant dédain. On se croirait dans un de ces larmoyants et picaresques romans anglais dont s'enchanta le XVIIIe siècle. Ce prénom, Fanny, rappelle sans doute la Fanny Hill de John Cleland, aux aventures plus décolletées que celles de notre héroïne, et le style même, ce grand ton noble et solennel qu'a choisi l'auteur, accentue à coup sûr l'impression...
Le grand intérêt de ce roman, outre la subtilité de sa narration et la qualité impressionnante de sa forme (Marie NDiaye n'éprouve nul besoin de « réformer » l'orthographe !), c'est de traiter un problème actuel, urgent, grave, dont se détournent prudemment la plupart des écrivains, et de le traiter dans des décors de ce temps. Entreprise très littéraire, En famille est aussi un modèle de réalisme contemporain.
François Nourissier de l'académie Goncourt
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«Ma mère est une femme en vert, intouchable, décevante, métamorphosable à l'infini, très froide et sachant, par la volonté, devenir très belle, sachant ne pas le désirer. Ma mère, Rocco et Bella, où en sont-ils à présent ? Je n'écrirai pas, eux non plus, jusqu'au jour où, peut-être, une lettre m'arrivera d'un lieu inconnu, accompagnée de photos d'inconnus qui se trouveront être mes proches à divers degrés - lettre dont, même si elle est signée Maman, je contesterai l'authenticité, puis que j'enfouirai quelque part où elle ne sera pas dénichée.» Marie NDiaye.
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Une tranquille matinée d'automne, un vendredi.
Le narrateur s'éveille. commence alors pour lui une comédie classique, avec son cousin georges qui arrive de province, sa fiancée qui se jette dans les bras d'un triste don juan, son roman, américain bien sûr, qui s'élabore, et ses souvenirs qui l'assaillent - de l'oncle charles, de la grand-mère céleste. et maman qui doit épouser hubert. une fortune lui tombe du ciel, après résolution d'une ténébreuse affaire.
Il est minuit. la comédie s'achève. elle a l'originalité de ne couvrir qu'une seule journée de la vie d'un homme, et d'être écrite d'une seule phrase.
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Personne, je crois, n'a jamais porté sur la fameuse " crise de l'adolescence " un regard aussi aigu, aussi drôle, aussi sérieux que marie ndiaye.
Peut-être parce que marie ndiaye a dix-huit ans et qu'elle devait en avoir seize lorsqu'elle a entrepris "quant au riche avenir", mais plus certainement parce qu'elle est déjà un grand écrivain : elle a trouvé une forme qui n'appartient qu'à elle pour dire des choses qui appartiennent à tous ; et dès lors nous les découvrons.
Pierre lepape, la quinzaine littéraire, 1985.