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Stefano Massini
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Le 6 avril 1917, à la pause déjeuner de l'usine de munitions Doyle & Walkers, à Sheffield, Royaume-Uni, Violet Chapman, ouvrière, prise d'une inspiration subite, donne un coup de pied dans l'espèce de balle qui se trouve au milieu de la cour en brique rouge de 330 pieds de long par 240 pieds de largeur.
Aussitôt, les dix autres femmes présentes lâchent leurs casse-croûtes et sautent du muret où elle étaient assises en rang d'oignons pour se mettre à courir elles aussi.
Ce simple coup de pied aurait pu les tuer. Car la balle est un prototype de bombe légère destinée à calculer la trajectoire de chute, avant de massacrer l'ennemi. Mais la bombe n'explose pas. C'est leur coeur qui le fait. Ce coup de pied vient de leur sauver la vie, à toutes.
Elles jouent pendant plus d'une demi-heure.
Et recommencent le lendemain. Et encore, et encore.
Jusqu'à jouer dans un vrai stade, jusqu'à affronter des professionnels !
Jusqu'à ce que les hommes - patron, chéris, papas - mettent leur veto à cette passion, à cette obsession, à cette libération. -
Écrits à 15 ans d'intervalle, Femme non rééducable (Mémorandum théâtral pour Anna Politkovskaïa), en 2007, et Bunker Kiev, en 2023, sont des récits de dissidence et de quête de liberté, là où la parole est muselée. Ils racontent le quotidien de la violence et de la peur exercée par la Russie sur les territoires de l'ex-URSS.
À Grozny, la guerre est officiellement finie, mais derrière les mitraillettes et les chars, la Russie est toujours là. Femme non rééducable raconte le conflit tchéchène, au fil de témoignages recueillis sur le terrain par la journaliste russe, Anna Politkovskaïa. Qualifiée de « non rééducable » par l'Etat-major russe, elle vit sous la menace constante pour ses activités dissidentes. En octobre 2006, elle est retrouvée assassinée dans la cage d'escalier de son immeuble. Sans pathos ni complaisance, ce récit documentaire est un montage de six années de notes, d'articles, d'interviews, des « révélations, confessions, dénonciations, lettres, le tout réécrit dans un style au rasoir, pour mettre en relief le contenu. Objectiver. Nettoyer. Sectionner. Enlever. Enlever. Enlever. Tout le reste est silence. » Bunker Kiev a été écrit en février 2023, à l'occasion du premier anniversaire du début de la guerre en Ukraine, sur la base de témoignages, dans des articles de journaux ou des vidéos, des messages sur les réseaux sociaux ou les blogs. Dans Bunker Kiev, l'esprit embourbé par la peur de la mort ressasse. Qui est-on, lorsqu'on se retrouve enfermé.e avec 29 autres personnes dans l'un des 4984 bunkers de la ville ?
Qui est avec nous, qui va craquer ? Où se trouvent nos proches ? Sont-ils restés dehors, pour affronter la mort en face ? Une plongée asphyxiante dans le noir. Avec effroi et lucidité, la langue de Massini se déploie avec une concision radicale et une rapidité inouïe, souvent proche de l'asphyxie. Qu'est-ce que l'humanité réduite aux peurs les plus ancestrales et aux simples réflexes de survie ?