Du début du XIXe siècle, tout juste sorti de la Révolution française, jusqu'à la violente rupture de la Première Guerre mondiale, un long siècle de création picturale s'écoule qui voit émerger, croître et se métamorphoser l'espace de production artistique de la modernité. Cet ouvrage se propose de le parcourir en compagnie d'artistes dont l'histoire de l'art a négligé les oeuvres jusqu'à une période récente : les peintres femmes.
Du phénomène inédit de féminisation du Salon officiel sous le Consulat et la Restauration à l'afflux des artistes nordiques, britanniques, russes et américaines sur la scène parisienne à l'aube du XXe siècle, des ultimes débats sur l'ancestrale hiérarchie des genres picturaux au surgissement accéléré des avant-gardes, de la multiplication des ateliers de jeunes femmes au seuil du XIXe siècle aux premières diplômées de l'École des beaux-arts au début du XXe siècle, la période déploie une scène où il nous appartient désormais de les voir et de les entendre jouer, elles aussi, leur rôle d'artiste tel qu'elles s'en emparèrent concrètement, personnellement dans et avec leur temps.
Depuis le texte fondateur de Vasari, l'histoire de l'art avait tenu dans l'ombre le travail des femmes peintres. À partir des années 1960, les Feminist Studies et les Gender Studies ont permis de mettre à mal cette tendance et de redécouvrir des artistes majeures dont le travail avait été injustement occulté au profit de celui de leurs homologues masculins.
Du fait de leur isolement et de leur faible nombre tout autant que des interdits et des obstacles qui furent opposés à leur formation comme à leur carrière, l'étude des femmes peintres a engagé Martine Lacas à se poser certaines problématiques qui leur sont propres : dans quelles familles sont-elles nées ? comment se sont-elles formées ? quelles stratégies ont-elles développées pour légitimer leur statut d'artiste et leur production ? Mais aussi qu'est-ce que le fait d'être femme a changé quant au choix des sujets et de leurs interprétations, quant à l'affirmation de soi par l'oeuvre et dans l'ouvre ?
Pour répondre à ces questions, Martine Lacas s'appuie sur l'étude des ouvres de ces femmes peintres du XVe à l'aube du XIXe siècle, parmi lesquelles on compte Elisabeth Vigée Le Brun, Artemisia Gentileschi, Sofonisba Anguissola ou Adélaïde Labille-Guiard, dont le genre a déterminé et détermine encore la réception, la fortune critique et l'appréciation esthétique.
- Parcourant un corpus d'oeuvres picturales et de textes tant théoriques que littéraires compris entre le XVe et le XIXe siècle, cet ouvrage se propose d'observer comment la question du désir se déplace et se reformule parallèlement à l'affirmation progressive de l'art comme valeur.À partir de la Renaissance, les oeuvres picturales, profanes ou religieuses, qui mettent en scène un objet du désir majoritairement emprunté aux sources mythologiques et bibliques se multiplient. Partant de ce premier constat, se pose la question de savoir : " où et quand ", " comment " le désir devient-il un sujet en peinture ? C'est à la condition de poser ces questions premières, c'est en observant de près des oeuvres dont le sujet met en scène des héros réputés aux prises avec le désir qu'on pourra espérer savoir pourquoi. Pourquoi la peinture, à partir du moment où elle s'émancipe progressivement du monde du culte pour intégrer celui de la culture, à partir du moment où le peintre devient un artiste, où l'activité imaginaire est valorisée, parfois même théorisée, pourquoi la peinture entretient-elle un lien si étroit avec le désir ? Au gré de cette enquête inédite qui puise à des sources multiples, c'est une histoire critique de l'art pictural qui va se tracer. Mais aussi une histoire de sa réception, de son pouvoir, de ses effets, de sa définition. Une histoire de ses formes, de ses configurations. Une histoire de l'imagination, une histoire du spectateur, une histoire de l'artiste.
- Née en 1964, docteur en histoire de l'art, Martine Lacas enseigne à l'université et écrit régulièrement pour la presse. Elle a publié aux éditions de La Martinière Artistes de la Renaissance et aux éditions du Seuil Au fond de la peinture.