Dans une maison, derrière une fenêtre, deux femmes parlent. Nous entendons. Elles parlent lentement, entre de longs silences, cherchent leurs mots, les trouvent ou ne les trouvent pas, se taisent encore, essayent d'autres mots, se contredisent, se coupent, oublient le magnétophone, essayent de se souvenir, essayent de parler, avancent, se perdent, se retrouvent, se perdent encore, mais avancent toujours, sans modèle, sans plan, sans prudence et, pour la première fois peut-être, sans la peur du CENSEUR. D'où vient que ces propos soient publiés dans leur état premier ? qu'on les livre sans correction aucune ? qu'on ose proposer à la lecture cette incohérence, ce désordre, cette confusion, cette opacité, ces redites, ce piétinement de la parole ? D'où vient que ce qui n'est pas du tout écrit, remanié, mis en forme, élucidé, fascine à ce point ? Quel est le mystère de cet écrit de la parole ? Est-ce parce qu'il est, enfin, celui de la femme ? celui à venir ?
M. D.
Ce livre d'entretiens est paru en 1974.
Je voudrais retrouver l'épisode la poste de la rue Dupin.
Vous y êtes allé pour téléphoner à Marie-Louise, la soeur de Robert, comme vous le faisiez avant de rentrer. Une voix vous a répondu : " Vous faites erreur, monsieur. " Vous avez recommencé à faire le numéro de Marie-Louise. La voix a crié : " N'insistez pas, monsieur, puisqu'on vous dit que c'est une erreur. " Alors vous en avez été sûr : la Gestapo était dans l'appartement. Et vous avez encore pris le temps de me téléphoner.
Vous m'avez dit qu'il y avait le feu où vous étiez, qu'il se propageait très vite et qu'il fallait que je parte dans les dix minutes. Marguerite Duras et François Mitterrand se sont rencontrés en 1943. Dans ces cinq entretiens, réalisés en 1985 et 1986, ils évoquent en amis de longue date l'Histoire de la France, celle de l'Afrique, la poésie, les démons de l'Amérique et les souvenirs d'un épisode tragique, l'arrestation de Robert et de Marie-Louise Antelme dans un appartement de la rue Dupin.