«J'ai retrouvé ce journal dans deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le-Château.Je n'ai aucun souvenir de l'avoir écrit.Je sais que je l'ai fait, que c'est moi qui l'ai écrit, je reconnais mon écriture et le détail de ce que je raconte, je revois l'endroit, la gare d'Orsay, les trajets, mais je ne me vois pas écrivant ce Journal. Quand l'aurais-je écrit, en quelle année, à quelles heures du jour, dans quelles maisons? Je ne sais plus rien. [...]Comment ai-je pu écrire cette chose que je ne sais pas encore nommer et qui m'épouvante quand je la relis. Comment ai-je pu de même abandonner ce texte pendant des années dans cette maison de campagne régulièrement inondée en hiver.La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot «écrit» ne conviendrait pas. Je me suis trouvée devant des pages régulièrement pleines d'une petite écriture extraordinairement régulière et calme. Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n'ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m'a fait honte.»Marguerite Duras.
Lui : Tu n'as rien vu à Hiroshima. Rien.
Elle : J'ai tout vu. Tout... Ainsi l'hôpital je l'ai vu. J'en suis sûre. L'hôpital existe à Hiroshima. Comment aurais-je pu éviter de le voir ?
Lui : Tu n'as pas vu d'hôpital à Hiroshima. Tu n'as rien vu à Hiroshima...
Elle : Je n'ai rien inventé.
Lui : Tu as tout inventé.
Elle : Rien. De même que dans l'amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j'ai eu l'illusion devant Hiroshima que jamais je n'oublierai. De même que dans l'amour.
L'histoire de Lol Valérie Stein commence au moment précis ou les dernicres venues franchissent la porte de la salle de bal du casino municipal de T. Beach. Elle se poursuit jusqu'´r l'aurore qui trouve Lol V. Stein profondément changée. Une fois le bal terminé, la nuit finie, une fois rassurés les proches de Lol V. Stein sur son état, cette histoire s'éteint, sommeille, semblerait-il durant dix ans.
Lol Stein se marie, quitte sa ville natale, S. Tahla, a des enfants, paraît confiante dans le déroulement de sa vie et se montre heureuse, gaie. Aprcs la période de dix ans la séparant maintenant de la nuit du bal, Lol V. Stein revient habiter ´r S. Tahla ou une situation est offerte ´r son mari. Elle y retrouve une amie d'enfance qu'elle avait oubliée, Tatiana Karl, celle qui tout au long de la nuit du bal de T. Beach était restée auprcs d'elle, ce qu'elle avait également oublié. L'histoire de Lol V. Stein reprend alors pour durer quelques semaines.
«J'ai appris qu'il était mort depuis des années. C'était en mai 90 (...). Je n'avais jamais pensé à sa mort. On m'a dit aussi qu'il était enterré à Sadec, que la maison bleue était toujours là, habitée par sa famille et des enfants. Qu'il avait été aimé à Sadec pour sa bonté, sa simplicité et qu'aussi il était devenu très religieux à la fin de sa vie.J'ai abandonné le travail que j'étais en train de faire. J'ai écrit l'histoire de l'amant de la Chine du Nord et de l'enfant:elle n'était pas encore là dans L'Amant, le temps manquait autour d'eux. J'ai écrit ce livre dans le bonheur fou de l'écrire. Je suis restée un an dans ce roman, enfermée dans cette année-là de l'amour entre le Chinois et l'enfant.Je ne suis pas allée au-delà du départ du paquebot de ligne, c'est-à-dire le départ de l'enfant.»Marguerite Duras.
«- Il n'y a pas de vacances à l'amour, dit-il, ça n'existe pas. L'amour, il faut le vivre complètement avec son ennui et tout, il n'y a pas de vacances possibles à ça.Il parlait sans la regarder, face au fleuve.- Et c'est ça l'amour. S'y soustraire, on ne peut pas.»
« Il faut toujours une séparation d'avec les autres gens autour de la personne qui écrit les livres. C'est une solitude essentielle. C'est la solitude de l'auteur, celle de l'écrit. Pour débuter la chose, on se demande ce que c'était ce silence autour de soi. Et pratiquemment à chaque pas que l'on fait dans une maison et à toutes les heures de la journée, dans toutes les lumières, qu'elles soient du dehors ou des lampes allumées dans le jour. Cette solitude réelle du corps devient celle, inviolable, de l'écrit. »
Après un long silence dû à la maladie, Marguerite Duras publiait en 1990 La pluie d'été. Ernesto, le héros, vit dans une famille nombreuse et pauvre : parents immigrés, chômeurs, mais son environnement ne l'empêche pas d'être un génie. La complicité entre Ernesto et sa soeur Jeanne les conduit à l'inceste. Ernesto est heureux dans le malheur de l'être. Ce qu'il vit est un bonheur contradictoire, douloureux. Le feu sous la cendre. La vraie chaleur et le seul espoir sont dans la complicité qui unit les membres de la famille.
Ernesto et Jeanne, après la pluie d'été qui marque la fin de l'envoûtement et de l'enfance, se sépareront.
Ce texte est extrait du recueil Des journées entières dans les arbres (Folio)
«C'est encore une fois les vacances. Encore une fois les routes d'été. Encore une fois des églises à visiter. Encore une fois dix heures et demie du soir en été. Des Goya à voir. Des orages. Des nuits sans sommeil. Et la chaleur.
Un crime a lieu cependant qui aurait pu, peut-être, changer le cours de ces vacances-là.
Mais au fond qu'est-ce qui peut faire changer le cours des vacances ?»
Un homme et une femme font connaissance dans un square. Peut-être assistons-nous à la naissance d'un amour. Mais là n'est pas l'essentiel. Ce qui compte, c'est que clans ces instants partagés, dans ces silences échangés, ils atteindront à la fois une forme d'exil absolu et une forme de communion profonde. La nuit peut venir, le square peut fermer. Après Nathalie Sarraute, après Beckett, mais d'une façon totalement singulière et qu'elle ne renouvellera jamais avec une telle évidence, Marguerite Duras s'est délibérément placée sur le terrain du rien, de ce rien qui est la chose même, le coeur des choses, et dont Flaubert, le premier sans doute, avait rêvé l'avènement. Non qu'elle s'avère ici héritière du réalisme ou représentante patentée du Nouveau Roman, mais c'est bien dans cette zone de l'infiniment petit, patiemment défrichée par la modernité, qu'elle choisit de se situer.
Un homme et une femme. Ils se sont aimés, ils se sont déchirés, ils se sont quittés. Ils se revoient une dernière fois. Ils s'aiment sans doute à tout jamais. Il n'y a de musique amoureuse que funèbre, de rengaine érotique qu'ironique : c'est la musica. Les deux personnages de sa pièce connaissent bien cette musique-là. Dans le hall de l'hôtel d'Évreux où ils se croisent, alors qu'ils viennent tout juste de divorcer, ils se la fredonnent encore et encore. Si leur divorce les a libérés, c'est surtout leur amour qu'il a libéré. Vingt ans plus tard, Marguerite Duras reprend le sujet dans La Musica Deuxième. C'est peu dire, par conséquent, que les deux personnages de La Musica et de La Musica Deuxième occupent une place essentielle dans l'ensemble de l'oeuvre, dont ils sont l'un des couples amoureux les plus représentatifs.
«Maud ouvrit la fenêtre et la rumeur de la vallée emplit la chambre. Le soleil se couchait. Il laissait à sa suite de gros nuages qui s'aggloméraient et se précipitaient comme aveuglés vers un gouffre de clarté. Le "septième" où ils logeaient semblait être à une hauteur vertigineuse. On y découvrait un paysage sonore et profond qui se prolongeait jusqu'à la traînée sombre des collines de Sèvres. Entre cet horizon lointain, bourré d'usines, de faubourgs et l'appartement ouvert en plein ciel, l'air chargé d'une fine brume ressemblait, glauque et dense, à de l'eau.
Maud resta un moment à la fenêtre, les bras étendus sur la rampe du balcon, la tête penchée dans une attitude semblable à celle d'un enfant oisif. Mais son visage était pâle et meurtri par l'ennui.
Lorsqu'elle se retourna vers la chambre et qu'elle ferma la fenêtre le bruissement de la vallée cessa brusquement comme si elle avait fermé les vannes d'une rivière.»
«Vous voyez, quelquefois, je faisais des articles pour les journaux. De temps en temps j'écrivais pour le dehors, quand le dehors me submergeait, quand il y avait des choses qui me rendaient folle, outside, dans la rue - ou que je n'avais rien de mieux à faire. Ça arrivait.» Marguerite Duras.
Ce volume rassemble Outside et Le monde extérieur. Il réunit des articles de journaux, des préfaces, des lettres, des textes de Marguerite Duras, les uns publiés entre 1957 et 1993, les autres demeurés longtemps inédits : autant de fragments échappés à son oeuvre qui en forment une part complémentaire.
Les vrais enfants sont ceux qui ont passé leur enfance dans les arbres à dénicher des nids, et perdu leur vie. Les mères, en effet, préfèrent aux autres ces éternels enfants-là. Et l'amour qu'elles leur portent, non seulement survit, mais s'enfle de leur vieillesse, de la déchéance de leur raison, de la magnificence toujours plus grande de leur immoralité. Tel est le sujet des Journées entières dans les arbres.
Je voudrais retrouver l'épisode la poste de la rue Dupin.
Vous y êtes allé pour téléphoner à Marie-Louise, la soeur de Robert, comme vous le faisiez avant de rentrer. Une voix vous a répondu : " Vous faites erreur, monsieur. " Vous avez recommencé à faire le numéro de Marie-Louise. La voix a crié : " N'insistez pas, monsieur, puisqu'on vous dit que c'est une erreur. " Alors vous en avez été sûr : la Gestapo était dans l'appartement. Et vous avez encore pris le temps de me téléphoner.
Vous m'avez dit qu'il y avait le feu où vous étiez, qu'il se propageait très vite et qu'il fallait que je parte dans les dix minutes. Marguerite Duras et François Mitterrand se sont rencontrés en 1943. Dans ces cinq entretiens, réalisés en 1985 et 1986, ils évoquent en amis de longue date l'Histoire de la France, celle de l'Afrique, la poésie, les démons de l'Amérique et les souvenirs d'un épisode tragique, l'arrestation de Robert et de Marie-Louise Antelme dans un appartement de la rue Dupin.