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Jacqueline Merville
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Au sein d'un paysage lunaire et désertique, une femme s'échappe d'un camp où elle a été enfermée à la suite de l'explosion d'un Site qui l'a violemment contaminée. Elle y a subi des expérimentations scientifiques et s'est fait passer pour morte afin de s'évader. La narratrice à l'identité sibylline marche en quête de liberté et de remémoration. Au fil de son cheminement, les souvenirs refont surface par bribes nébuleuses.
Le texte est empreint d'événements tels que l'enfer de la Shoah ou encore le Tsunami qu'elle a relaté avec une grande justesse dans son ouvrage The Black Sunday, 26 décembre 2004 (des femmes-Antoinette Fouque, 2005). Sans être mentionnée, l'évocation de la pandémie du Covid-19 révèle l'humanisme profond et singulier de l'autrice. La rêveuse finit par se réveiller, mais le songe est d'une actualité percutante.
« J'ignore ce qu'est devenu le monde dont je me souviens.
De ma mémoire je me méfie aussi. Est-ce bien la mienne ? Suis-je vraiment celle que je pense être à cause d'images, de détails, de sensations, revenus si soudainement dans le camp ? Est-ce une guérison ou encore une manifestation de la contamination ? Suis-je encore sous surveillance ? Il faudrait que je puisse parler avec celles et ceux qui n'ont pas eu la tête lessivée. Alors je saurais que le monde dont je me souviens est réellement le monde où j'ai vécu. Ma seule certitude est que je marche, je marche, je marche mais où ? » J. M.
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« Alice s'efforce à nouveau de demeurer avec celle qui franchissait la porte de la forêt.
Ne rien écrire d'autre. Rester avec Alice Sandair assise dans une forêt de bambous sur les plateaux du Deccan. C'était il y a longtemps cette autre vie, sauvage, extrêmement lumineuse, entièrement vivante et si loin des terres où elle avait dû ensuite retourner et se taire. Elle a si peu de temps pour le faire, elle n'aura vite plus envie d'écrire sa vie dans la forêt. Elle se dira que ça n'est pas la peine, pas la peine du tout. Elle voudra écrire autre chose, une chose occidentale, cartésienne, matérialiste, horizontale, donc universelle. [...] Alice ne veut pas tricher pour faire plaisir. [...] Elle se penche vers son clavier, elle se souvient. » J. M.
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Jacqueline Merville se qualifie de "vagabonde". Vagabonde sur la Terre et aussi vagabonde entre l'écriture et la peinture. Chez elle, ces deux formes d'expression se complètent comme l'ombre et la lumière ; autant sa peinture est lumineuse, autant ses livres traitent de la violence du monde.
Ce nouveau livre est né de la douloureuse expérience de ce que l'auteur porte comme un "crime originel". Adolescente, elle a exprimé son refus catégorique à la venue d'un nouvel enfant dans le cercle familial et a poussé ainsi sa mère à subir un avortement clandestin, tel que pratiqué dans ces années soixante... Se mêle à ce souvenir celui du passage d'un état à un autre, de l'enfant à la femme...
Ce texte vient à maturité lors du passage d'un monde à l'autre, de l'occident à l'orient, terme d'un voyage provoqué par la lecture du livre d'un philosophe indien. Partie vers l'Inde à la recherche d'un équilibre lumineux, Jacqueline Merville y rencontrera l'extrême violence d'un pays où l'on tue parfois à la naissance les filles inutiles...
Ce cadavre d'enfant qu'elle découvrira, abandonné au pied d'un arbre, la renverra à son expérience personnelle et la perturbera jusqu'à la folie...
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Un accident qui manque de rendre l'auteur aveugle ouvre sur l'intime et sur un retour sur soi...
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Réflexion sur la dépossession de la langue et de son pouvoir, ce récit fait à deux voix évoque la traque d'une réfugiée sans papiers et amnésique cachée par une femme qui, pour couvrir les bruits de rafles dans la rue, lui raconte son enfance dans la France des années 1960. Fresque douloureuse et humoristique de la classe ouvrière décrite avec le regard d'une adolescente rejetant la famille, l'école, le travail, où seuls brillent ses souvenirs de Mai 68.
Comment s'en sortir est le leitmotiv de ce récit de colère où la mémoire de l'une vient au secours de la mémoire assassinée de l'autre.
Sous les fenêtres la police rôde, dans l'appartement elles s'approprient ce qui n'a pu être détruit, leur envie de vivre envers et contre tout.
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Jacqueline merville parvient à enchâsser le drame individuel dans le drame collectif, sans que jamais l'un prenne le pas sur l'autre.
De la femme violée à la sauvagerie de la nature, le passage nous est possible grâce à une écriture sobre et pudique qui dit aussi bien la révolte que la compassion. un livre grave et superbe...
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« C'était en Afrique de l'ouest.
La plaie dans ta bouche, au milieu du palais, cuisait, brûlait.
Une plaie faite par le tortionnaire près de la lagune de Glidji.
T'empêcher de parler. T'empêcher entièrement.
Te tuer disait-il.
Tu n'étais pas morte. Tu écrivais sur la feuille de papier quadrillé. Les traces sur ce cahier, du troué, sans forme, irrémédiablement enfoncé à coté de.
Tu n'étais pas folle avec ton visage de folie dans cette chambre de Lomé. Tu écrivais de ton supplice en traversant les pages sans les recouvrir comme un insecte mourant, se débattant contre le mur. Moellons, parpaings de mots.
Qu'est-ce qui s'écrivait aussi sur ce carnet te demandes-tu ? » J.M.
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« Je m'étais assis sur un banc. Le fer avait embrassé mon dos. Le lampadaire fonctionnait. L'épiderme d'une nuit sans ciel phosphorescent s'arrêtait à hauteur des palissades. La lumière du lampadaire retenait une manière de langue noire à juste hauteur des yeux. La place Misèrée devint une demi-sphère lumineuse. Une architecture rappelant celle d'une cathédrale prenait place sur ce que j'avais qualifié de tas de bois et de ferraille un instant auparavant. Cet entassement avait trouvé son rôle. » J.M.
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« Je tourne la tête vers le rivage. C'est à cet instant que je la vois. La Vague. Un mur d'eau dans les arbres. Un mur d'eau claire pliant les arbres, ces pins du golfe du Bengale. Un mur liquide très haut qui avance. La mer vient, géante, écrasante. C'est la fin du monde. Je grimpe les marches de l'escalier pour me réfugier sur la terrasse. Vite. Le plus haut possible. Une terrasse au milieu de l'invasion des eaux océaniques. Je sais que c'est inutile. Plus personne ne crie. » J.M.
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« masse de pères la même tête d'homme vivait ça, l'enfant le vivait comme pas du rien envidée dans la voix ça compte jusqu'à vouloir plus rien mais pas morte la petite s'appuie sur du sourire de sa maman sa bouche pas peinte aux sons talismaniques que va-t-elle sortir de sa bouche en posant ses doigts sur la vaisselle sale ?
?laver les plis, les graisses, on invente beaucoup en attendant un nuage blanc, on cherche son nom » J.M.
Dans ce livre d'artiste, long poème ponctué de plusieurs tableaux, Jacqueline Merville explore avec une densité et une profondeur accrues les thèmes qui structurent son oeuvre : de l'évocation d'une enfance empêchée, engluée dans la maison, et la langue, du père faisant écho à la violence du monde, jusqu'à la découverte d'un ailleurs, qui est aussi recherche, vital, d'une langue à soi.
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Contrainte de revenir d'Inde pour un confinement qui va bientôt se mondialiser, la narratrice tente de maintenir un lien avec une amie restée sur les bords de l'océan Indien, tout en restant enfermée dans son appartement, à l'étage d'une ancienne gentilhommière du Sud de la France. Dans le salon, un grand miroir d'où émanent, furtives, d'étranges présences, comme les signes d'un autre temps. Peu à peu, ces inquiétantes présences se transforment en une douce compagnie, fantomatique et rassurante et un dialogue s'instaure avec ces étranges revenantes et anciennes habitantes des lieux dont l'une a inspiré à Marcel Proust le personnage de la duchesse de Guermantes dans La Recherche. L'histoire de leurs vies se mêle à celle de la narratrice, tout comme le temps, suspendu, devient un noeud où peuvent s'entremêler présent, passé et futur incertain.
De sa plume délicate, Jacqueline Merville brosse le portrait intérieur d'une femme en temps de crise et invite avec grâce les lecteur.rice.s à la suivre dans ses voyages immobiles à la recherche de la vie bonne. -
Une femme a rejoint une ville qui va s'enfoncer dans les marécages. Elle y tue son enfant en toute légalité morale et civique. Elle y combat son désir d'un homme, son ancienne façon d'être femme. C'est la ville du Non, la ville où crime et sacrifice sont encouragés. Aucune loi ordinaire, tant au niveau éthique qu'esthétique, ne s'y est fixée.
« Longtemps après les couches, quand mon corps ne supportait plus de crier dedans, je l'ai tué. Déjà le brouillard était sur la ville construite sur les marécages. J'ai oublié le nom de cette ville qui refuse d'être. Je l'ai su rapidement puis je l'ai perdu. ICI les lieux sont inutiles. Nul ne désire y rester. L'enfant ne le désirait pas. Mes cris ne franchissaient pas les murs. Je l'ai tué pour taire à jamais le nom impossible. » J.M.
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Dialogue sur un chantier de démolition
Jacqueline Merville
- Des Femmes
- Fiction
- 22 Septembre 1987
- 9782721003478
Jacqueline Merville explore de nouveau les thèmes de la naissance impossible, de la recherche d'une identité par un acte définitif, avec cette particularité étonnante d'entrechoquer l'abstrait et la réalité la plus authentiquement simple.
« Elle a pris la voiture. Encore. Elle a roulé, non vers la mer, mais dans la direction condamnée. Elle a défoncé le flanc des bêtes égarées à coups de pare-chocs. Elle achevait la souffrance de l'animal avec une marche arrière rapide. L'enfant a traversé la rue en courant. Ça s'est confondu. Elle a accéléré. Ça a volé, éclaté contre la carcasse métallique. Juste un choc et une sorte de cri. Rien n'est semblable entre l'enfance et l'animalité. Ce fut le geste dont on pouvait parler en la désignant. Pour eux aussi, elle avait définitivement abandonné le monde. » J.M.
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À travers l'histoire de deux femmes, unies par un sentiment profond, s'articulent deux conceptions du monde et de la vie, organisant, selon leur double itinéraire, les thèmes de l'échec, de l'ascèse, du détachement, du désir d'anonymat, du refus de la maternité, etc. Les questionnements et la quête et l'ambivalence des aspirations semblent écraser tout désir, même celui de penser.
«Elle rit en voyant mon visage, mes lèvres, tout mon corps tendu pour éviter la chaleur qui tombe d'un seul coup sur la terrasse.
J'ai soif, il fait si chaud, j'imagine ces manuscrits en train de brûler.
Toute cette chaleur immobile et des feuilles manuscrites s'effaçant lentement dans ce ciel bleu, du feu bleu. Est-ce cela qu'elle appelle la douleur de là-bas venue ici avec moi ?
Tout ce qu'elle dit je le savais avant de la rejoindre sur ce balcon près des rivages du cap de Ram. Pourtant ce qu'on pense savoir n'est jamais suffisant, stable. Entre elle et moi s'étend un autre savoir, le vrai, un bloc liquide.» J.M.
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Tu vois mille visages sortis de l'océan.
Ton visage en bas de la colonne et la neige autour de tes yeux. L'extase n'est rien dis-tu.
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« Ma folle n'est pas née là-bas, mais dans la vallée, c'est certain. Là-bas, j'avais rencontré l'autre côté, mon vrai côté tout délivré. À mon retour, je ne pouvais plus reconnaître celle qui avant de partir pensait seulement à repousser ce coup de vieux qui tombait sur une très jeune femme ayant un travail, louant un appartement avec vue sur un jardin dans la banlieue est de la ville. Grâce à ce voyage d'hiver, j'allais finalement réussir ce que la gosse de treize ans avait loupé. Ce collégien avait eu raison, j'étais bien celle qu'il avait repérée, une faite pour ne pas rêver à la lumière, mais aller la chercher coûte que coûte. Le visage de ma folle, une esquisse ramenée de là-bas, devenue en quelques mois un corps vivant, me dis-je pour aller au bout de ce que je sais ou peux penser. » J.M.
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Lorsqu'elle apprend la disparition de celle qui la lisait et la publiait, celle qui avait accueilli son premier manuscrit dans sa maison d'édition, celle qui l'encourageait dans la recherche de son « écrire vrai », Jacqueline Merville est en Inde, ce continent aimé où elle avait vécu une dizaine d'années, sans pouvoir/vouloir donner de nouvelles avant de la retrouver en 2004. Antoinette Fouque est la dédicataire de ce texte bref et intense qui questionne la relation d'une écrivaine en quête de sens à son éditrice, femme de pensée et d'engagements pour les femmes, à l'écoute de la voix singulière de chacune.
Jacqueline Merville entreprend alors ce récit qui dit « le lien magique » qui a pu les unir, récit marqué du sceau de l'espérance d'une réconciliation entre « deux continents d'amour », lieux géographiques réels et lieux du coeur habités par des aimés disparus : "Celle qui est morte n'a jamais rejeté mon partir (...). Les deux continents ne furent jamais séparés. Je ne veux plus les séparer." » « La force irradiant sa voix me manque.
J'avais tous ses numéros, les fixes et les mobiles.
"Appelez-moi quand vous voulez".
Elle aussi m'appelait parfois. Sa voix maritime et rocheuse, la voix la plus singulière, imprévisible, que j'aie pu entendre dans ma langue maternelle. L'appui d'une voix qui me parlait vraiment, sans détour, tendre et abrupte, rien n'était ni donné ni pas donné. J'avais aussi cette chance qu'elle me réponde au téléphone même si parfois j'appréhendais de l'appeler, mais finalement j'étais, quoi qu'elle me dise, emplie durant des jours de cette présence-là, de cette main tendue que je devais comme déchiffrer, mettre à ma sauce me disait SK. Ce déchiffrement ne débouchait pas sur un ordre à suivre, ni même un conseil. J'étais en face de ma propre énigme.
Une voix qui m'épargnait deux précipices me dis-je maintenant. Celui d'écrire ce qui ne faisait plaisir qu'à moi, l'autre étant d'écrire dans l'air du temps pour faire plaisir aux autres. Elle fut la gardienne d'un seuil d'où je pouvais librement m'élancer dans la mienne voix, mienne voix qui d'ailleurs pouvait ne pas lui convenir. Quel étrange lien de moi à elle. Ce coup de chance dès mon premier manuscrit envoyé par la poste. » J.M.
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Dans ce recueil de poèmes, Jacqueline Merville revient sur la terrible agression qu'elle a subie au Togo en 1990. Un an plus tard, tandis qu'elle voyage pour une résidence artistique, le traumatisme ne l'a pas quitté. Alors qu'elle traverse l'Allemagne, l'autrice écrit son voyage intérieur empreint de sentiments ambivalents, de la souffrance indicible à la gratitude envers les Africaines, qui ont lavé les souillures du « tueur » et chanté pour sa guérison. Se développe alors une ode à la sororité par-delà les différences culturelles.
Écrasée par les paysages industriels omniprésents, Jacqueline Merville instille une réflexion sur la machine capitaliste, qui ne fait que cela : broyer. Tout comme l'injustice envers les femmes et les conflits géopolitiques dont elles sont les premières victimes.
Jacqueline Merville développe une écriture d'une grande délicatesse où la souffrance intime se mêle au prosaïsme du quotidien et aux horreurs de l'Histoire. -
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Ces pèlerinages donnent la saveur inébranlable d'une autre humanité possible
QUOI ? Ce sont des carnets subjectifs écrits avec soin, dans une langue simple et soignée. Ils sont jalonnés de révélations, de doutes, de rencontres remarquables et de questions philosophiques, ou existentielles, évoluant au fil de trente années.
Ces carnets relatent des faits ordinaires inhérents à ce genre de voyage, ainsi que les plus extraordinaires. En particulier ces Visitations d'un autre état de conscience, l'effleurement de ce qu'on nomme le Soi, la Grâce, instants partagés avec des milliers de pèlerins allant de temple en temple, de montagnes sacrées en fleuves sacrés. Vivre serait donc arpenter le labyrinthe du divin tout autant que celui des ignorances nous privant de la vastitude d'être au monde. « Qui sommes-nous ? » se demande-t-on sur ces routes-là.
Ces pèlerinages donnent la saveur inébranlable d'une autre humanité possible. L'Inde, jusqu'à peu, restait l'une des terres encore tournées vers la Conscience. Ses sages enseignaient la plénitude de l'âme, autant qu'un universalisme dénonçant le sexisme, le racisme, les castes, la violence. Cette Inde va-t-elle disparaître dans le roulis sombre de la mondialisation ?
COMMENT ? Écrit sous la forme d'un journal (1994-2019) qui permet au lecteur de se situer dans le temps et dans la géographie des événements.
QUI ? L' AUTEUR. Jacqueline Merville est écrivaine et peintre. Elle a publié treize récits aux Éditions Des femmes - Antoinette Fouque, parmi lesquels Presque africaine (2010), Le Voyage d'Alice Sandair (2020), La Vie bonne et d'autres vies (2022), des recueils de poésie, notamment à La Main courante, et dirige depuis 2002 une collection de livres d'artistes, Le Vent refuse. Son travail de peinture et d'écriture est traversé par ses voyages effectués autour du monde : de longues escales au Mexique, au Maroc, au Togo, en Amérique du Nord. Depuis 1992, elle partage son temps entre le Sud de la France et l'Asie, en particulier les terres indiennes.