L'homme se tient sur une brèche, dans l'intervalle entre le passé révolu et l'avenir infigurable. Il ne peut s'y tenir que dans la mesure où il pense, brisant ainsi, par sa résistance aux forces du passé infini et du futur infini, le flux du temps indifférent.
Chaque génération nouvelle, chaque homme nouveau doit redécouvrir laborieusement l'activité de pensée. Longtemps, pour ce faire, on put recourir à la tradition. Or nous vivons, à l'âge moderne, l'usure de la tradition, la crise de la culture.
Il ne s'agit pas de renouer le fil rompu de la tradition, ni d'inventer quelque succédané ultra-moderne, mais de savoir s'exercer à penser pour se mouvoir dans la brèche.
Hannah Arendt, à travers ces essais d'interprétation critique - notamment de la tradition et des concepts modernes d'histoire, d'autorité et de liberté, des rapports entre vérité et politique, de la crise de l'éducation -, entend nous aider à savoir comment penser en notre siècle.
Notre siècle a totalement transformé le statut de l'homme ; celui-ci est désormais un membre d'un ensemble qui le dépasse, et dont il ne peut s'échapper. il vit dans un monde où la technique prend de plus en plus d'importance, et où le politique s'impose sans possibilité d'écart ou de fuite. Ce monde est également celui des pires violences, de la barbarie généralisée. Hannah Arendt commence ici sa réflexion sur l'originalité radicale de notre époque. Elle pose les bases d'une réflexion qui permettra, peut-être, de se donner les moyens d'éviter les dérapages vers la violence aveugle, en comprenant en profondeur la dimension de "l'homme moderne". Un nouvel humanisme ?
Quatrième de couverture Voici un texte qui, par la controverse qu'il suscita dès sa parution chez les historiens, eut le mérite essentiel de contraindre ceux-ci à entreprendre des recherches nouvelles sur le génocide des Juifs par les nazis. En effet, le reportage d'Hannah Arendt, envoyée spéciale du New Yorker au procès de Jérusalem, philosophe américaine d'origine juive allemande, auteur d'un ouvrage célèbre sur les origines du totalitarisme, fit scandale à New York et à Londres, en Allemagne comme en Israël. Dans son procès du procès, l'auteur - qui ne fait siens ni tous les motifs de l'accusation ni tous les attendus du jugement - est entraîné d'abord à faire apparaître un nouvel Eichmann, d'autant plus inquiétant qu'il est plus " banal " ; puis à reconsidérer tout l'historique des conditions dans lesquelles furent exterminés des millions de Juifs. Et à mettre en cause les coopérations, voire les " complicités ", que le lieutenant-colonel S.S. a trouvées dans toutes les couches de la population allemande, dans la plupart des pays occupés, et surtout jusqu'au sein des communautés juives et auprès des dirigeants de leurs organisations. La personnalité de l'auteur, élève du philosophe allemand Karl Jaspers, la controverse qu'elle a partout suscitée et qu'analyse Michelle-Irène Brudny-de Launay dans sa présentation, contribuent à faire de ce livre brillant un témoignage que l'on ne peut ignorer sur une des énigmes majeures du monde contemporain.
" Ce livre constitue une tentative de compréhension de faits qui, au premier coup d'oeil, et même au second, semblaient simplement révoltants. Comprendre, toutefois, ne signifie pas nier ce qui est révoltant et ne consiste pas à déduire à partir de précédents ce qui est sans précédent ; ce n'est pas expliquer des phénomènes par des analogies et des généralités telles que le choc de la réalité s'en trouve supprimé. Cela veut plutôt dire examiner et porter en toute conscience le fardeau que les événements nous ont imposé, sans nier leur existence ni accepter passivement leur poids, comme si tout ce qui est arrivé en fait devait fatalement arriver. Comprendre, en un mot, consiste à regarder la réalité en face avec attention, sans idée préconçue, et à lui résister au besoin, quelle que soit ou qu'ait pu
être cette réalité. " (Hannah Arendt)
Sur l'antisémitisme est la première partie de l'oeuvre magistrale d'Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme (New York, 1951), qui inclut aussi L'Impérialisme (" Points Essais ", n° 356) et Le Système totalitaire (" Points Essais ", n° 307).
Très claire introduction au phénomène du totalitarisme, ce livre rassemble deux textes de Hannah Arendt qui se situent dans le sillage immédiat de son ouvrage majeur, «Les Origines du totalitarisme» (1951), qu'il contribue à éclairer et à approfondir. « La nature du totalitarisme » (1954) est une conférence où Arendt traite de la spécificité du régime totalitaire par rapport au despotisme et aborde les thèmes de l'idéologie, de la terreur, de la tyrannie, de la solitude. « Religion et politique » (1953) est un essai où Arendt discute des religions politiques et séculières, et où elle réfléchit à la question de l'autorité.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le «réfugié» préfère en général l'appellation de «nouvel arrivant» ou d'«immigré», pour marquer un choix, afficher un optimisme hors pair vis-à-vis de sa nouvelle patrie. Il faut oublier le passé : sa langue, son métier ou, en l'occurrence, l'horreur des camps. Elle-même exilée aux États-Unis au moment où elle écrit ces lignes dans la langue de son pays d'adoption, Hannah Arendt exprime avec clarté la difficulté à évoquer ce passé tout récent, ce qui serait faire preuve d'un pessimisme inapproprié.
Pas d'histoires d'enfance ou de fantômes donc, mais le regard rivé sur l'avenir. Mais aux yeux de ces optimistes affichés, la mort paraît bien plus douce que toutes les horreurs qu'ils ont traversées. Comme une garantie de liberté humaine.
L'impérialisme fit son entrée sur la scène mondiale en Afrique. Voici venu le temps de la race comme fondement du corps politique, de la bureaucratie comme principe de domination. Aucune considération éthique ne doit entraver la domination blanche.
L'expansionnisme continental, l'éveil des minorités, les mouvements de réfugiés consécutifs à la Première Guerre mondiale achèvent de saper l'État-nation. Mépris de la loi, éclatement des partis : l'Europe travaille avec acharnement à l'avènement du système totalitaire.
L'Impérialisme est la deuxième partie de l'oeuvre magistrale de Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme (New York, 1951), qui inclut aussi Sur l'antisémitisme (« Points Essais » n° 360) et Le Système totalitaire (« Points Essais » n° 307).
Est-ce que notre aptitude à juger, à distinguer le bien du mal, le beau du laid, est dépendante de notre faculté de penser ? Tant d'années après le procès Eichmann, Hannah Arendt revient dans ce bref essai, écrit en 1970, à la question du mal. Eichmann n'était ni monstrueux ni démoniaque, et la seule caractéristique décelable dans son passé comme dans son comportement durant le procès et l'interrogatoire était un fait négatif : ce n'était pas de la stupidité mais une extraordinaire superficialité. La question que Hannah Arendt pose est : l'activité de penser en elle-même, l'habitude de tout examiner et de réfléchir à tout ce qui arrive, sans égard au contenu spécifique, et sans souci des conséquences, cette activité peut-elle être de nature telle qu'elle conditionne les hommes à ne pas faire le mal ? Est-ce que le désastreux manque de ce que nous nommons conscience n'est pas finalement qu'une inaptitude à penser ?
Hannah Arendt propose une réflexion générale sur le politique, à travers ses concepts fondamentaux. Elle étudie le rôle du mensonge et des techniques d'intoxication, et la manière de les combattre. Elle développe sa réflexion sur la notion de violence, sur les relations entre une structure étatique et les formes de contestation qui peuvent s'y opposer : la désobéissance civile, dont elle montre le développement aux États-Unis, et son importance à côté des voies classiques de recours et de contestation ; la violence des révoltes, dans les pays gouvernés par un régime totalitaire où se développe la bureaucratie.
Quatre textes majeurs, proposant des analyses qui s'appuient aussi bien sur la tradition philosophique que sur l'actualité de notre temps - y voisinent Platon et un rapport du Pentagone -, enracinent ainsi une réflexion brillante dans le terrain des préoccupations contemporaines.