L'homme se tient sur une brèche, dans l'intervalle entre le passé révolu et l'avenir infigurable. Il ne peut s'y tenir que dans la mesure où il pense, brisant ainsi, par sa résistance aux forces du passé infini et du futur infini, le flux du temps indifférent.Chaque génération nouvelle, chaque homme nouveau doit redécouvrir laborieusement l'activité de pensée. Longtemps, pour ce faire, on put recourir à la tradition. Or nous vivons, à l'âge moderne, l'usure de la tradition, la crise de la culture.Il ne s'agit pas de renouer le fil rompu de la tradition, ni d'inventer quelque succédané ultra-moderne, mais de savoir s'exercer à penser pour se mouvoir dans la brèche.Hannah Arendt, à travers ces essais d'interprétation critique - notamment de la tradition et des concepts modernes d'histoire, d'autorité et de liberté, des rapports entre vérité et politique, de la crise de l'éducation -, entend nous aider à savoir comment penser en notre siècle.
Révision par Martine Leibovici et présentation par Michelle-Irène Brudny-de Launay
10 décembre 1948 : les Nations unies adoptent la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui se veut une réponse claire aux projets génocidaires et au problème des apatrides généré par la Seconde Guerre mondiale. Hannah Arendt réagit en publiant l'année suivante un essai où elle développe pour la première fois l'une de ses thèses les plus célèbres : le droit d'avoir des droits. C'est ce texte inédit en français que nous publions, suivi de "Nous réfugiés" (1949), ici dans une nouvelle traduction.
" Ce livre constitue une tentative de compréhension de faits qui, au premier coup d'oeil, et même au second, semblaient simplement révoltants. Comprendre, toutefois, ne signifie pas nier ce qui est révoltant et ne consiste pas à déduire à partir de précédents ce qui est sans précédent ; ce n'est pas expliquer des phénomènes par des analogies et des généralités telles que le choc de la réalité s'en trouve supprimé. Cela veut plutôt dire examiner et porter en toute conscience le fardeau que les événements nous ont imposé, sans nier leur existence ni accepter passivement leur poids, comme si tout ce qui est arrivé en fait devait fatalement arriver. Comprendre, en un mot, consiste à regarder la réalité en face avec attention, sans idée préconçue, et à lui résister au besoin, quelle que soit ou qu'ait pu
être cette réalité. " (Hannah Arendt)
Sur l'antisémitisme est la première partie de l'oeuvre magistrale d'Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme (New York, 1951), qui inclut aussi L'Impérialisme (" Points Essais ", n° 356) et Le Système totalitaire (" Points Essais ", n° 307).
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le «réfugié» préfère en général l'appellation de «nouvel arrivant» ou d'«immigré», pour marquer un choix, afficher un optimisme hors pair vis-à-vis de sa nouvelle patrie. Il faut oublier le passé : sa langue, son métier ou, en l'occurrence, l'horreur des camps. Elle-même exilée aux États-Unis au moment où elle écrit ces lignes dans la langue de son pays d'adoption, Hannah Arendt exprime avec clarté la difficulté à évoquer ce passé tout récent, ce qui serait faire preuve d'un pessimisme inapproprié.
Pas d'histoires d'enfance ou de fantômes donc, mais le regard rivé sur l'avenir. Mais aux yeux de ces optimistes affichés, la mort paraît bien plus douce que toutes les horreurs qu'ils ont traversées. Comme une garantie de liberté humaine.
Très claire introduction au phénomène du totalitarisme, ce livre rassemble deux textes de Hannah Arendt qui se situent dans le sillage immédiat de son ouvrage majeur, «Les Origines du totalitarisme» (1951), qu'il contribue à éclairer et à approfondir. « La nature du totalitarisme » (1954) est une conférence où Arendt traite de la spécificité du régime totalitaire par rapport au despotisme et aborde les thèmes de l'idéologie, de la terreur, de la tyrannie, de la solitude. « Religion et politique » (1953) est un essai où Arendt discute des religions politiques et séculières, et où elle réfléchit à la question de l'autorité.
Pas de changement politique sans au préalable un changement social. Tel est le but d'une révolution : vivre, plutôt que survivre. Dans cet essai inédit qui résonne avec les colères actuelles, Arendt nous invite à nous organiser nous-mêmes pour nous emparer de l'action politique et ne plus la déléguer aux partis. Retrouver ce qui anima les deux grandes révolutions, la française et l'américaine : un désir passionné, chez les citoyens, de participer aux affaires publiques.
L'impérialisme fit son entrée sur la scène mondiale en Afrique. Voici venu le temps de la race comme fondement du corps politique, de la bureaucratie comme principe de domination. Aucune considération éthique ne doit entraver la domination blanche.
L'expansionnisme continental, l'éveil des minorités, les mouvements de réfugiés consécutifs à la Première Guerre mondiale achèvent de saper l'État-nation. Mépris de la loi, éclatement des partis : l'Europe travaille avec acharnement à l'avènement du système totalitaire.
L'Impérialisme est la deuxième partie de l'oeuvre magistrale de Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme (New York, 1951), qui inclut aussi Sur l'antisémitisme (« Points Essais » n° 360) et Le Système totalitaire (« Points Essais » n° 307).
Dispersé jusqu'à présent en trois volumes, Les origines du totalitarisme retrouve son unité dans la réunion des trois parties qui le constituent. L'ensemble est accompagné d'un dossier critique qui donne à la fois des textes inédits préparatoires ou complémentaires aux Origines, comme «La révolution hongroise», un débat avec Eric Voegelin, des extraits de correspondances avec Blumenfeld et Jaspers.Pour Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal, des correspondances avec Jaspers, Blücher, Mary McCarthy, Scholem éclairent l'arrière-plan de l'écriture de l'ouvrage et la violente polémique qu'il a suscitée.
Étudiant les deux révolutions, Arendt pose la radicale nouveauté de la française comparée à l'américaine:si l'une et l'autre se fondent sur la reconnaissance des droits de l'homme, la conception américaine conduit seulement à affirmer la validité universelle des principes du gouvernement limité et à en étendre le bénéfice à tous les Américains; pour leur part, les Français font des droits de l'homme et du citoyen la véritable fondation de tout gouvernement légitime:«Si la Révolution américaine ne proclame en fait rien de plus que la nécessité pour toute l'humanité d'un gouvernement civilisé, la Révolution française proclame l'existence de droits indépendants du corps politique et extérieurs à lui.» 1789 puis 1793 ouvraient, au nom de ces droits antérieurs à toute formation politique, une demande indéfinie d'égalité et de protection sociale qui inaugurait un siècle d'instabilité constitutionnelle. La reprise des thèses d'Arendt, notamment par le renouveau d'une historiographie de 1789 qui privilégie désormais une lecture prioritairement politique plutôt qu'économique ou sociale, ne saurait toutefois faire oublier la dernière partie du livre. C'est un superbe éloge de l'autre tradition révolutionnaire occultée, celle de l'auto-organisation des gens pour s'emparer de l'action politique et ne plus la déléguer à l'oligarchie des partis - de la Commune de Paris aux conseils ouvriers de la Révolution hongroise de 1956.
Est-ce que notre aptitude à juger, à distinguer le bien du mal, le beau du laid, est dépendante de notre faculté de penser ? Tant d'années après le procès Eichmann, Hannah Arendt revient dans ce bref essai, écrit en 1970, à la question du mal. Eichmann n'était ni monstrueux ni démoniaque, et la seule caractéristique décelable dans son passé comme dans son comportement durant le procès et l'interrogatoire était un fait négatif : ce n'était pas de la stupidité mais une extraordinaire superficialité. La question que Hannah Arendt pose est : l'activité de penser en elle-même, l'habitude de tout examiner et de réfléchir à tout ce qui arrive, sans égard au contenu spécifique, et sans souci des conséquences, cette activité peut-elle être de nature telle qu'elle conditionne les hommes à ne pas faire le mal ? Est-ce que le désastreux manque de ce que nous nommons conscience n'est pas finalement qu'une inaptitude à penser ?
Penser, c'est apprendre à désobéir, à ne pas se soumettre ou obéir à des idéologies. Ce recueil en grande partie inédit d'essais, interviews, conférences, discours, critiques littéraires, depuis un essai sur le travail et l'action jusqu'à des textes sur la liberté et la condition humaine, en passant par un remarquable "Hannah Arendt par Hannah Arendt", montre ce que penser librement veut dire : sans appuis ou garde-fous, sans les piliers de la religion, de la morale, de la politique ou de la philosophie, interroger sans répit au lieu d'offrir des réponses figées.
Les Vies politiques auxquelles ces essais sont consacrés n'ont en commun que l'époque au cours de laquelle elles se sont déroulées. Ainsi, Martin Heidegger, Karl Jaspers, Hermann Broch, Walter Benjamin, Bertold Brecht, Rosa Luxemburg et Jean XXIII par exemple, ont tous vécu ce que l'un d'eux, Brecht, appela de « sombres temps ».
L'objectif principal de ce livre n'est cependant pas de dénoncer un mal d'époque mais de réfléchir un peu de « la lumière incertaine, vacillante et souvent faible que des hommes et des femmes, dans leur vie et leur oeuvre, font briller dans presque n'importe quelles circonstances ».
La poésie fut la grande affaire de sa vie : pendant près de quarante ans, de 1924 à 1961, moment du procès Eichmann, Hannah Arendt ne cessa d'en écrire. Ses poèmes, où l'on croisera les figures de Martin Heidegger et de Walter Benjamin, parlent d'exil, d'amour et de mort, de nature et de nostalgie. Rassemblés ici pour la première fois, souvent totalement inédits, ils nous font pénétrer dans le jardin secret de la plus grande philosophe du XXe siècle.
Réfugiés, apatrides, parias, personnes déplacées, sans droits... Hannah Arendt nous aide, en onze essais sur les questions de l'assimilation et de la coexistence des peuples, à penser le monde d'aujourd'hui, les déplacements de population et la remontée de l'antisémitisme. Ce livre culte de la grande philosophe, qui contient plusieurs essais célèbres (sur la place des Juifs, Stefan Zweig, Kafka, ou encore le fameux "Nous autres réfugiés") était introuvable depuis de nombreuses années.
La désaffection pour la " chose publique ", la relative déconsidération qui frappe les hommes politiques donnent à ce texte un relief tout à fait particulier.
C'est la question du sens de la politique qui est ici envisagée, de sa justification. il ne suffit pas de se convaincre que la politique est une nécessité impérieuse pour la vie humaine, il faut encore pouvoir maintenir dans nos sociétés contemporaines la possibilité d'un espace pour la délibération. " la question aujourd'hui ne s'énonce pas tellement en ces termes : quel est le sens de la politique ? au sentiment des peuples qui, un peu partout, se sentent menacés par la politique et parmi lesquels les meilleurs ont consciemment pris leur distance par rapport à la politique, on comprend que corresponde mieux la question qu'ils se posent et que d'autres se posent : la politique a-t-elle encore un sens ?" h.
A.
hannah arendt fut dans les années 1920 l'élève du philosophe karl jaspers à l'université de heidelberg.
l'immigration d'arendt et la guerre les éloignèrent, mais l'échange repris dès 1945 pour se transformer en amitié. tous deux avaient alors le sentiment d'avoir survécu à un cataclysme. comment penser, alors que la pensée avait été mise en déroute par les événements ? en qui et en quoi placer sa confiance ? en quelles nations, en quelles idées, en quels hommes ? dans cet horizon, chaque événement décisif de la politique mondiale est objet de débats entre eux : l'insurrection de berlin, la révolution hongroise, la guerre de corée puis celle du viêt-nam, la baie des cochons et la crise de cuba, la construction du mur de berlin, la chute de krouchtchev et l'assassinat de kennedy, le lent essor de la chine.
eux qui étaient en quête d'un espoir constatent que, dans le contexte de la guerre froide, le cataclysme menace toujours et qu'il ne reste presque plus rien - ni les nations, ni les idéologies, ni les structures sociales, ni la sécurité militaire sur laquelle pèse désormais le risque de la bombe atomique. seule, peut-être, la pensée...
Le charisme de Hitler, la responsabilité politique, le nationalisme, la nature du totalitarisme, le fascisme, l'art de terroriser les populations : ce nouveau recueil de la grande philosophe, dont certains textes sont inédits en français, complète «La Philosophie de l'existence» et manifeste, à chaque page, ce qui l'anima toute sa vie : la passion de comprendre.
Notre siècle a totalement transformé le statut de l'homme ; celui-ci est désormais un membre d'un ensemble qui le dépasse, et dont il ne peut s'échapper. il vit dans un monde où la technique prend de plus en plus d'importance, et où le politique s'impose sans possibilité d'écart ou de fuite. Ce monde est également celui des pires violences, de la barbarie généralisée. Hannah Arendt commence ici sa réflexion sur l'originalité radicale de notre époque. Elle pose les bases d'une réflexion qui permettra, peut-être, de se donner les moyens d'éviter les dérapages vers la violence aveugle, en comprenant en profondeur la dimension de "l'homme moderne". Un nouvel humanisme ?
Hannah Arendt propose une réflexion générale sur le politique, à travers ses concepts fondamentaux. Elle étudie le rôle du mensonge et des techniques d'intoxication, et la manière de les combattre. Elle développe sa réflexion sur la notion de violence, sur les relations entre une structure étatique et les formes de contestation qui peuvent s'y opposer : la désobéissance civile, dont elle montre le développement aux États-Unis, et son importance à côté des voies classiques de recours et de contestation ; la violence des révoltes, dans les pays gouvernés par un régime totalitaire où se développe la bureaucratie.
Quatre textes majeurs, proposant des analyses qui s'appuient aussi bien sur la tradition philosophique que sur l'actualité de notre temps - y voisinent Platon et un rapport du Pentagone -, enracinent ainsi une réflexion brillante dans le terrain des préoccupations contemporaines.
La philosophe Hannah Arendt, auteur des Origines du totalitarisme, couvrit à sa demande le procès d'Eichmann à Jérusalem en 1961 pour le compte du New Yorker. Le livre qui en est l'aboutissement, Eichmann à Jérusalem, sous-titré Rapport sur la banalité du mal, déclencha immédiatement la polémique aux États-Unis puis lors de sa publication en France en 1966, tandis que d'aucuns déconseillèrent même sa publication en Allemagne (1964). Elle y soutenait qu'Eichmann n'était ni un Iago ni un Macbeth, imputant ses crimes à la pure absence de pensée, ce qui, précisait-elle, n'équivalait nullement à la « stupidité ». Comment s'explique dès lors le titre du présent entretien qu'elle accorda à l'historien allemand Joachim Fest, auteur notamment des Maîtres du IIIe Reich ? De même comment expliquer que, bien qu'Eichmann lui répugnait, s'exprimant sur Albert Speer, l'architecte de Hitler qui devint ensuite ministre de l'Armement, elle puisse affirmer dans la seconde partie de leur entretien : « L'homme me plaît, mais je ne parviens pas à le comprendre » ? Faut-il y voir une nouvelle provocation de la part de celle qui pourtant, ne se targuait que de « dire la vérité des faits » ? Ce livre rassemble l'entretien accordé par Hannah Arendt à Joachim Fest en 1964, leur correspondance, ainsi que les écrits qui ont amorcé la controverse. S.C.-D.
"J'ai conquis Hannah au bal, avec la remarque faite en dansant que l'amour est un acte par lequel on transforme quelque chose d'a posteriori, l'autre rencontré par hasard, en un a priori de sa propre vie - belle formule qui, certes, ne s'est pas confirmée".
En dénoyautant des cerises sur leur balcon, Günther Anders et Hannah Arendt, jeunes mariés, installés à Drewitz, près de Potsdam, dans les dernières années de la république de Weimar, renouvellent l'expérience d'un "philosopher ensemble", inspiré du romantisme allemand autant que de Platon.