Farah, adolescente, a toujours connu L'Église de la Treizième Heure pour la bonne raison que Lenny, son père, en est le fondateur. Elle vit en communauté dans cette Église millénariste un peu spéciale : féministe, queer, animaliste. On y récite Nerval ou Rimbaud. Lenny rassemble ses ouailles autour de messes poétiques et d'ateliers de déparasitage psychique. La Treizième Heure, c'est aussi l'heure de la révélation, du déclenchement merveilleux, le moment où le monde basculera dans un état apaisé, le triomphe des pauvres, des dominés, des humiliés. Les membres de la communauté l'espèrent d'autant plus qu'ils sont fragiles, angoissés devant les menaces qui pèsent sur la planète : épidémies, guerres, réchauffement climatique... Leader incontesté des « treiziémistes », Lenny élève seul sa fille Farah. Hind, son grand amour, l'ayant abandonné à la naissance du bébé.
Le roman se divise en trois parties, racontées par chacun des membres de cette famille à la fois déglinguée et très contemporaine. Farah, née intersexuée, est d'abord inconditionnelle de son père, acquise à sa cause délirante, mais devient plus critique en grandissant : son père lui a menti sur sa filiation. En menant l'enquête, elle comprend qu'elle n'avait pas une mère mais deux ! Hind et Sophie. Comment est-ce possible ? Lenny prend la parole ensuite. Il raconte deux coups de foudre successifs : la poésie d'abord, Hind ensuite. Mais on s'aperçoit que les deux ne font qu'une : Hind est une chimère, une illumination, une fée baudelairienne. Lenny fondera l'Église de la Treizième Heure après le départ de son amour. La troisième partie est donc celle de Hind. Femme trans d'origine algérienne, elle avoue l'histoire violente de son parcours pour gagner sa liberté sexuelle et individuelle. Elle a aimé Lenny et voulu un enfant de lui, mais quittera Lenny et Farah pour vivre une passion amoureuse vouée à l'échec.
La Treizième Heure est un roman millénariste ultra contemporain, inspiré par les bouleversements d'identité et de genre, et traversé par nos angoisses de fin du monde comme par notre espoir d'un ordre social plus juste.
Farah, 14 ans, et ses parents ont trouvé refuge dans une communauté libertaire, la « Liberty House », qui rassemble des gens inadaptés au monde extérieur. Farah pense être une fille, mais découvre vite qu'elle n'a pas tous les attributs attendus. Ayant grandi auprès d'une grand-mère naturiste, une mère allergique aux ondes et un père au charisme inexistant, tous trois incapables de l'élever, l'adolescente s'épanouit dans ce drôle de paradis au milieu des arbres et des bêtes. Elle y observe les adultes mettre tant bien que mal en pratique leurs beaux principes : décroissance, antispécisme, naturisme, tolérance, amour libre et pour tous, y compris les disgraciés. Mais cet éden est établi à la frontière franco-italienne, dans une zone blanche sillonnée par les migrants. Et si Farah s'initie à l'amour avec Arcady, le chef spirituel et enchanteur de ce familistère, elle va également découvrir la lâcheté et la trahison, par ceux qui les prêchent, des valeurs auxquelles elle croyait.Un grand roman doux et cruel, à l'humour décapant, sur l'innocence et le monde contemporain.
Daniel a été adopté très jeune par une immigrée polonaise et son petit mari français. Fasciné par cette mère et sa plantureuse beauté rousse, il s'efforce à la fois de lui obéir et de lui ressembler : or si obéir à sa mère signifie être un homme, lui ressembler signifie être une vamp en guêpière. Pris entre ces exigences contradictoires, il relègue ses avatars féminins dans ses abysses personnels. Avec l'entrée dans l'âge adulte, les choses s'arrangent un peu : il rencontre un homme qui devient à la fois son amant, son mentor et son employeur. Grâce à lui, il va se produire sur scène, travesti en femme, ce qui permet à sa vérité intime de sortir un peu, au moins à la nuit tombée. Parallèlement, il s 'éprend d'un détenu auquel il rend visite tous les dimanches, ce qui l'amène à côtoyer des femmes dont l'homme est en prison. Et s'il y a beaucoup de « perdants » dans cette histoire, à commencer par le narrateur ; beaucoup de filles perdues, beaucoup de créatures entre deux sexes, beaucoup d'amoureux de la défonce, c'est parce que les héros d'Emmanuelle Bayamack-Tam sont du genre à cumuler les disgrâces ; ils n'arrivent à rien, ils tirent systématiquement le mauvais numéro. Parce que leurs vies sont inimaginables, ou insupportables à imaginer, il y a de la place ici pour l'imagination, et pour l'humanité.
À la sortie de la première édition du livre en 2010, Philippe Lançon écrivait : « Bayamack-tam est un réjouissant écrivain dégénéré. Elle défait les catégories et les meilleurs sentiments. Elle le fait en écrivant des zones où les femmes sont aussi des hommes, les hommes des femmes, les Noirs des Blancs, les Blancs des Noirs, les enfants des adultes et vice-versa, les humains des animaux, bref, des lieux où ce qu'on prenait pour acquis, sous les termes génériques de nature ou de morale, est remis en cause par la vie. »
À l'abordage ! peut se lire comme une réécriture du Triomphe de l'amour de Marivaux, mais c'est aussi le pendant symétrique d'Arcadie, roman publié en 2018. Chez Marivaux, le philosophe Hermocrate a édifié sa petite communauté autour du refus de l'amour et de la mixité, alors que dans le roman, Arcady prêche l'amour libre et le désir sans entraves - mais dans l'un et l'autre cas, c'est une très jeune fille qui vient éprouver, ridiculiser et in fine pulvériser, l'idéologie et la rhétorique ambiantes.
À L'Abordage ! reprend scrupuleusement la distribution de la pièce de Marivaux, il en reprend aussi le découpage et la scansion, cette alternance d'aveux, de refus et de fausses confidences qui conduit à la victoire annoncée de l'amour.
Mais là où Marivaux situe l'intrigue dans une Grèce antique conventionnelle, À L'Abordage ! se situe résolument dans notre présent le plus contemporain, débarrassé des anachronismes, et en résonance avec des problématiques très actuelles. Le travestissement de Sasha (Phocion chez Marivaux) en garçon est davantage qu'un stratagème : il introduit un trouble dans le genre et contribue à déglinguer la machine matrimoniale propre à la comédie classique. Le dénouement, loin d'arrêter le mariage des seuls jeunes premiers comme chez Marivaux, ouvre sur un mariage pour tous, festif et féérique, encourage le désir transgénérationnel, et se conclut sur une marche des fiertés jouissive et spectaculaire. L'amour triomphe de tout : du dogmatisme sénile d'Hermocrate, mais aussi des inhibitions, des traditions, des préjugés, des normes...
La pièce a été créée et jouée en septembre et octobre derniers, avant le confinement, au Théâtre de la Tempête à Paris, dans une mise en scène de Clément Poirée. Reprise à La Tempête du 7 au 12 décembre 21 puis dans la banlieue parisienne (Rungis, Kremlin-Bicêtre, Saint-Cloud, Fontainebleau, Fontenay-aux-Roses, Rueil Malmaison, Maison Alfort, Corbeil-Essonnes), et en province toute l'année 22 (Lannion, Viré, Toulouse, Istres, Draguignan, Amiens...).