Il y a quelques années, la mère de Didier Eribon est entrée en maison de retraite. Après plusieurs mois au cours desquels elle a peu à peu perdu son autonomie physique et cognitive, Didier Eribon et ses frères ont dû se résoudre à l'installer, malgré ses réticences, dans un établissement médicalisé. Mais le choc de l'entrée en maison de retraite fut trop brutal et, quelques semaines seulement après son arrivée, elle y est décédée. Après la mort de sa mère, Didier Eribon reprend le travail d'exploration personnelle et théorique qu'il avait entrepris dans Retour à Reims après la mort de son père. Il analyse le déclin de sa mère, ce qui l'amène à réfléchir sur la vieillesse et la maladie, sur nos rapports aux personnes âgées et à la mort, mais aussi sur l'expérience du vieillissement. Il s'interroge également sur les conditions de l'accueil des personnes dépendantes. Il montre que si l'expérience du vieillissement nous est très difficile à penser, c'est parce qu'il s'agit d'une expérience-limite dans la philosophie occidentale, dont l'ensemble des concepts semblent se fonder sur une exclusion de la vieillesse. Eribon reparcourt également la vie de sa mère, et notamment les périodes où elle était femme de ménage, ouvrière puis retraitée, la saisissant dans toute sa complexité, de sa participation aux grèves à son racisme obsessionnel. Il conclut sa démarche en faisant de la vieillesse le point d'appui d'une réflexion sur la politique : comment pourraient se mobiliser des personnes qui n'ont plus de mobilité ni de capacité à prendre la parole et donc à dire «nous» ? Les personnes âgées peuvent-elles parler si personne ne parle pour elles, pour faire entendre leur voix ?
La littérature et les différents domaines de la réflexion théorique ont souvent été des champs de bataille où les dissidents de l'ordre sexuel ont cherché à faire entendre leurs voix. Ce sont quelques-uns des moments de ce grand affrontement que Didier Eribon entend restituer ici, à travers des lectures de Gide et de Jouhandeau, de Foucault et de Dumézil notamment. Mais il décrit également comment les pensées novatrices ou hérétiques peuvent rester engluées dans les valeurs dominantes (comme chez Gide) et même, parfois, cohabiter chez un même auteur avec un discours réactionnaire voire raciste (comme chez Jouhandeau). C'est de cette complexité qu'il s'agit de rendre compte dans ce livre.
Ces discours « hérétiques » doivent bien sûr affronter la résistance acharnée des tenants de l'orthodoxie sociale et des défenseurs de l'ordre sexuel, toujours prompts à les renvoyer à la « folie » ou à la « perversion », à les accuser de « mettre en péril les fondements de la civilisation », comme on le voit, de manière quasi caricaturale, chez des idéologues comme Lacan et Mounier, et chez leurs héritiers. Il faut alors donner toute sa force à l'affirmation de Barthes selon laquelle « dans ce qu'il écrit, chacun défend sa sexualité ».
Ce livre se veut un plaidoyer en faveur de la pensée critique, de l'« hérésie », une incitation à élargir l'espace de la liberté et des modes de vie possibles face à tous les conformismes, à toutes les pensées rétrogrades et répressives, qu'elles s'avancent sous le masque de la morale, celui de la Raison ou celui de la Science.