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Des Femmes
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Mêlant autobiographie et création, ce nouveau texte d'Annie Cohen adopte les coutures d'un journal ou d'un cahier d'écrivaine. Comme l'indique le titre inspiré du poème de Verlaine, Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore, il s'inscrit d'emblée dans une filiation avec l'errance des poètes, notamment Edmond Jabès. Des fulgurances lyriques, placées sur le chemin de l'écriture comme autant de points d'appui, viennent jalonner le récit enivrant d'un combat au corps à corps avec une maniaco-dépression. En dépit de la douleur, c'est dans ses ressources les plus ineffables que l'autrice va puiser la matière de son texte : l'intense volupté de sa prose se saisit d'un voyage de jeunesse sur l'Île aux femmes, au large du Mexique, ou encore du judaïsme de ses origines, pour recréer l'espace d'une parole poétique libératrice. On y retrouve le lien entre le travail littéraire d'Annie Cohen, son oeuvre artistique de plasticienne, en particulier ses emblématiques « rouleaux d'écriture », que François Mitterrand fut l'un des premiers à acquérir pour sa collection personnelle.
« Je roule sur les mamelons de mousse, je me rapproche du commencement du monde. Je les vénère sur la margelle au bord du Grand Canal. Nos conditions atmosphériques ne permettent pas d'avoir des tapis de mousses, il nous faudrait beaucoup d'humidité comme au Japon. Mais un oeil avisé les surprend près des points d'eau. Douce vie que ces végétaux si anciens qui résistent au béton. » A. C.
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Une femme est allongée sur le sable. Allongée, blanche. Sous l'éclatante lumière solaire. Devant elle, l'informe océanique, anonyme et fécond. Derrière elle, le désert. De ces déserts qui, dans le monde, arrivent au bord de l'océan.
De cette situation territoriale naît l'écriture, sur le sable, images défaites, déconstruites, mouvantes.
Ici, la narration s'efface, s'éclate, se dissout, pour voir le vide creusé par un texte qui coule, insaisissable, mystérieux, impalpable.
Rien d'autre sur la plage qu'une idée du monde, une idée de fécondité et de stérilité intimement mêlées. Une idée de néant blanc, derrière soi, si proche, si près. Mais dans ce désert il existe une plante dont les racines trouvent l'eau à plus de cent mètres de profondeur.
Ainsi l'écriture puise à la source d'une parole souterraine et cachée, la substance unique, tellurique, immatérielle, d'un infini qui impose son ordre au monde.
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Dans Paris, la nuit, une jeune femme dévide une bobine de fil blanc liant ainsi des lieux, des itinéraires, des places, des édifices. Par cette trace laissée sur les trottoirs, Héléna Roujanski entreprend un geste créateur fondé sur l'abandon, l'absence, l'usure, la mémoire, la fable et les mythes. Geste irréel qui la conduit à baliser les avenues et les petites rues. Ses nuits sont éclairées par une lumière intérieure, par une lampe élevée au-dessus de sa tête, elle-même veilleuse vigilante.
« La règle du jeu était claire : les points de la ville reliés les uns aux autres permettaient de coudre les pièces, les morceaux épars d'une histoire qui, sans cela, n'était que ruines, lambeaux ou haillons de passé suspendus... » A.C.
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Par les mots et les dessins, Annie Cohen tente, comme l'écrit Antonin Artaud, de « refaire corps avec l'os des musiques de l'âme ».
« Elle portait pour le bureau ces sandales orthopédiques, plates et hygiéniques, du docteur Scholl... Elle marchait dans la rue en regardant à terre, perdue dans le décompte des pavés... Elle était toujours légèrement voûtée, les épaules en avant, le corps en dedans. L'idée d'être droite et arrogante ne lui venait jamais spontanément à l'esprit. Son itinéraire était sans surprise. Elle empruntait le soir le chemin du matin. Et elle rentrait vite. » La nuit - cette nuit-là - une femme dans un fauteuil, face aux doubles rideaux tirés. Immobile, figée.
« C'est dans l'immobilité du corps qu'elle parvenait à la plus grande mobilité, à la plus extrême souplesse. Tout va trop vite parfois... » A.C.
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Deux forces dominent ce livre : le sacrifice de la terre à l'hiver proche, de la maison à la solitude, et la puissance d'un amour disparu sur une femme qui redoute l'affadissement du souvenir. Cette femme cherche tout à la fois à échapper et à se raccrocher à la nécessité d'un corps absent qu'elle traque dans l'image de l'amoureux des tarots, des visites aux monuments et de la longue, lente, obsédante traversée du Pont de l'Archevêché.
Elle écoute le bruit des pas de l'aimé qui s'éloigne vers la ville, elle va jusqu'aux étangs où elle fut avec lui. Elle célèbre la permanence de la mémoire dans l'atelier et pour ne pas sombrer au plus profond d'elle-même, décrit sa situation d'abandonnée d'une façon précise et ferme, tout en se livrant au labeur harassant d'assainir le jardin touché par l'automne pourrissant comme si elle préparait un monde à sa mesure, mystique et sensuel.
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Textes et dessins à l'encre de Chine.
Les quarante dessins à la plume et les textes qui les accompagnent retracent une aventure spirituelle d'une grande pureté. Pris dans un réseau de villes, d'animaux, de visages, d'étoffes, de végétations, de paysages mythiques, l'oeil écoute le long monologue qui jaillit à chaque page comme une flamme ardente et dit l'amour, les peurs, les joies, les hantises, l'aventure de l'espace ciel et de l'espace terre et les gestes de la création dans toute leur plénitude.
« Ce ne sont que des signes dispersés sur des sphères célestes... dans le gris métallisé et rebelle du texte. » A. C.
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Au cours d'un monologue intérieur, Annie Cohen se livre et revient sur le processus créatif qui a marqué toute sa vie, à la fois pictural et scriptural. Peinture et littérature s'entremêlent dans un geste passionné, véritable pulsion de vie, qui pourrait tenir la mort à distance. La création devient alors éminemment intense, sexuelle, organique. C'est à travers son corps de femme entravé par la maladie qu'Annie Cohen ressent, invente et produit. Différentes thématiques personnelles et artistiques s'interpénètrent afin d'ouvrir une fenêtre sur son intimité profonde et tourmentée. Les souvenirs de jeunesse, l'évocation de sa mère, l'Algérie de son enfance, Paris, se mêlent aux éléments du quotidien de l'autrice, et permettent de mieux comprendre la genèse de ses écrits. La vie est là, toujours, incandescente et inaliénable.
Par son écriture magnifique et singulière, Annie Cohen nous emporte dans un passionnant flux de mots et de pensées.
Une puissante ode à l'existence.